Le roi nu

Chroniques d'actualité, avec des attributs royaux qui pendouillent.

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Du coup le roi nu écrit une chanson

Le roi nu étouffe sous l’empilement des confinements, agrémentés de masques, de tests et de vaccins. Du coup il a besoin d’un vélo et il en a commandé un vachement bien. Il l’attend avec impatience en tournant en rond sur la terrasse du palais. Du coup, il repense à ses trois anciens vélos et se dit que le temps a coulé sous les ponts de la vie, et que ses vélos ont été de bien fidèles destriers. Du coup, il s’installe à son bureau et écrit une chanson :

Salut à toi le forgeron alsacien. Tu crois que c’est une sonnette rouge que tu forges ? Tu forges les victoires des courses de mes dix ans. Du puits au laurier sauce, de l’eau oxygénée au mercurochrome. Du portail au panneau Stop, du pansement Urgo à la compresse stérile. Du cimetière à l’épicerie, du strap au plâtre. Du pont à la maison des cousins, du Dermophil indien à la Biafine. Toi le forgeron alsacien, tu forges les caractères ; tu inculques l’endurance, la résilience, l’ambition et la persévérance.

Salut à toi le soudeur polonais. Tu crois que c’est un cadre en acier de 58 que tu soudes ? Tu soudes les amitiés de mes vingt ans. Autour des feux, aux bords des lacs, aux fonds des granges, aux ombres des églises. De plans foireux en spots de rêve, des parkings immondes aux replats célestes des adrets. Pendant que les familles tricotent leur ADN et que les écoles huhuent, toi, le soudeur polonais, tu soudes le cadre des amitiés. Et de l’amour.

Salut à toi l’ingénieur japonais. Tu crois que c’est une transmission shimano que tu fabriques ? Tu fabriques les paternités de mes trente ans. Le pignon de 32 pour les réveils nocturnes hors catégorie. Le plateau de 52 pour les dimanches plats du salariat. Des butées hautes et basses, à l’avant et à l’arrière, pour ne pas dérailler. Toi l’ingénieur japonais, tu es le gardien de la fécondité, l’assureur de la transmission, la promesse des petits et gros développements.

Salut à toi le mécano savoyard. Tu crois que c’est une jante alu de 700 que tu montes ? Tu montes les chantiers déraisonnables de mes quarante ans. Se lancer, courir le risque, partir sans se retourner. Obliquer à gauche, s’engager dans l’épingle à cheveux, grignoter l’ascension. Résister au vent de face, prendre garde au vent de travers, chuter, se relever, puis savourer le vent de dos. Toi le mécano savoyard, tu montes les roues des projets fous de ceux qui ne savent pas vivre sans folie.

Salut à toi l’assembleur auvergnat. Elle est à toi cette chanson. Tu crois que c’est un vélo de randonnée que tu assembles ? Tu assembles la liberté de mes bientôt cinquante ans. Le temps sera retrouvé, l’espace redéployé. Déjà le goudron noir se fend. Dessous, le chemin qui reparaît, pas encore blanc, est poivre et sel. Il ouvre la possibilité de voyages moins rapides, mais pourquoi pas, plus lointains. Toi l’assembleur auvergnat, tu assembles la vie qui monte avec celle qui descend.

Du coup, le roi nu chante à tue-tête et a oublié l’empilement des confinements.