Le roi est toujours nu comme un ver. Il a pourtant consulté les meilleurs experts du royaume : un médecin youtubeur, un polytechnicien radioactif, un général en retraite sauf à la télé, Maître Marabout Coffy rebouteux magnétiseur médium extralucide, la cheffe maquilleuse-comptable de l’inspection générale des finances royales, un archevêque exorciste. Rien n’y fait, le roi est toujours nu, à poil, en tenue d’Adam.
Du coup, sa majesté a décidée de s’installer en son château de campagne du Périgord Vert ; la vie y est plus tempérée qu’au palais royal, les obligations mondaines moins pressantes. Tout est plus lent et convivial ; aux marchés de Nontron ou Piégut, les concisujets périgourdins sont très accommodants envers la nudité du roi car déjà très proches eux-mêmes de l’état de nature.
Cet hiver, les nappes phréatiques du royaume se sont vidées faute de se remplir. Les conconseillers du roi nu le pressent d’accélérer les innovations disruptives de pompages tous azimuts dans des méga-bassines afin de préserver les rendements croissants au beurre dans les épinards du P.I.B.
Mais le roi nu est déjà loin de tout ça. En prenant le soleil à la terrasse de l’entente cordiale à la fête de printemps d’Abjat, une pinte de Périgord Beers à la main, le roi nu trinque avec l’adjoint Stewart. Il raconte ses années d’école primaire à Saint-Martial-de-Valette et les souvenirs traumatisants causés par son institutrice d’alors, mademoiselle Camille :
— Elle nous donnait des problèmes mathématiques terribles, du genre : « sachant qu’une méga-bassine perd 5000 hectolitres par heure et se remplit dans le même temps de 400.000 cm³ par jour, si et seulement si la canicule n’en évapore pas les deux-tiers, à quelle date faudra-t-il fermer la centrale nucléaire rouillée ? ». Ou encore : « Sachant qu’un gendarme à jeun peut tirer 0,2 grenades à la secondes, au bout de combien de temps, en années, aura-t-il recouvert de douilles plastifiées la totalité, en centiares, de la surface agricole utile (SAU) du pays ».
Ce genre de problèmes scolaires a toujours provoqué des nœuds au cerveau du roi nu. Du coup le roi sèche. Du coup le roi boit. Comme un trou. Un trou de bassine. Un trou tout nu, avec des attributs qui pendouillent et trois-mille gendarmes autour.
Du coup le lendemain, le roi se réveille au château avec la gueule de bois. C’est le moment que choisit son miministre de l’agrobusinesswashing pour solliciter une entrevue :
— Majesté, nous aurions urgemment besoin que vous signiez l’autorisation de disrupter les nappes phréatiques pour emplir les méga-bassines et garantir à l’avenir la continuation des solutions qui ont prouvé leur échec.
Du coup, le roi nu signe le décret car il sait que sa dynastie repose sur sa garantie de pouvoir librement continuer les solutions qui ont prouvé leur échec.
Le roi nu a de lourdes responsabilités. Il faut faire tourner le royaume, sinon il s’arrête de tourner et tombe dans le trou intersidéral en vertu de la loi universelle de la gravité très grave. Le roi nu ne peut se permettre de perdre de temps en introspections. Il ne se connaît donc pas très bien lui-même. C’est un léger problème car il se trouve que se connaître soi-même est une condition préalable à la « connaissance de l’univers et des dieux ». Du coup, il ne les connait pas.
Du coup, le roi nu se fait périodiquement sonder les attributs royaux afin de mieux se connaître. Les instituts de sondages introspectifs lui posent une sonde représentative d’un panel tiré au sort par une main innocente puis redressée par une marge d’erreur ; ça chatouille un peu, et le tour est joué. Avant, il se faisait tirer les cartes dans une boule de cristal frottée au marc de café, mais c’était obscurantiste. Maintenant qu’il est rationnel, il se paye des sondages. C’est pas donné non plus. Mais ainsi, il croit se connaître, il croit penser, il croit avoir du choix, il croit connaître l’avenir, il croit savoir s’il monte ou descend, et pour finir, il croit décider librement en conscience.
Ces temps-ci, le roi nu se fait sonder tous les jours. Du coup, il est tout irrité. Décidément, le corps sacré du roi paye cher.
Je suppose que la plupart d’entre vous êtes déjà au courant ? Non ? Le roi est nu ! Ah quand même, je vois que certains sont au courant. Vous étiez au courant ou pas ? Qui n’était pas au courant ? Levez la main. Bon ben maintenant vous êtes au courant. Et ben vous me croirez jamais ! Figurez-vous qu’on a appris à cette occasion que ses attributs royaux pendouillent. Si. Et c’est pas beau à voir.
Alors, je sais, ça a engendré des polémiques.
Par exemple j’ai entendu ici ou là des gars me dire : « Oui, bon, ton roi nu ; des attributs royaux qui pendouillent ; et alors ? Nous aussi on a des attributs qui pendouillent ! On en fait pas tout un plat de nouilles, de nos attributs qui pendouillent ! »
Mais bon, quand même, c’est le roi !
Et puis il y a des filles qui m’ont dit : « C’est bien joli ton roi nu. Mais tu parles jamais de la reine. Y’a pas de reine dans ton histoire. Ton roi nu est un sexiste pourfendeur de la cancel culture woke décoloniale éco-féministe intersectionnelle. »
Alors non. Je veux m’inscrire officiellement en faux contre cette accusation. Mon roi nu n’est pas sexiste. La reine est l’égale du roi. D’ailleurs elle aussi a des attributs royaux qui pendouillent. Y’a pas de raison. Ben oui ! Et alors ? On va pas en faire tout un plat de nouilles !
Est-ce qu’il y a quelqu’un dans cette salle qui n’a pas d’attributs qui pendouillent ? Voilà, on va pas en faire tout un plat de nouilles.
Et puis il y en a d’autres qui disent : « Moi j’aime pas l’humour graveleux ». Non mais attendez. LE ROI EST NU PUTAIN ! NU ! Comment vous voulez pas être graveleux ?!
D’ailleurs, je vous ferais remarquer : Gras / Graveleux / Grivois / Griveaux. Y’a une logique.
Ou alors faut faire semblant de pas voir. « Le roi est nu ? Ah bon où ça ? Non mais de toutes façons ça me regarde pas. Le roi est nu mais moi, je continue ma petite vie… » Non ! Moi je dis que le roi est nu, et qu’il faut le regarder en face. Et puis il y en a qui disent : « ouh là là, ton roi nu, cette semaine, il était énervé ! »
[S’énervant]. Mais non il est pas énervé ! Il est à poil, il se les gèle, tous les indicateurs du royaume pendouillent, la moitié des concisujets ne se rend compte de rien, l’autre moitié fait semblant de ne rien voir ; Et tous se foutent de sa gueule ! A part ça il est pas énervé, le roi nu.
Bon ! Maintenant que toutes ces polémiques sont épuisées, venons-en au roi nu, à sa vie, à ses péripéties. Où en est-il le roi nu ? Et bien je vais vous dire, il est en pleine crise existentielle :
Ce matin, le roi nu s’est réveillé la boule au ventre et se grattant les attributs royaux, se demande :
— Pourquoi suis-je nu ? Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour être nu ? Et puis d’ailleurs, qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Pourquoi pendouill’-je sur cette planète ? Quel marionnettiste maniaque nous a pendouillés ici plutôt qu’ailleurs ? Et comment naquit cet émoi miraculeux qui par merveille mimétique a engendré que je me meuve ? Que je me meuve ! Quel émoi ! Comment se peut-il que je me meuve ? Et pourquoi se meut-il que je ne peuve ? Ou bien tout cela n’est-il qu’illusion ? Peut-être ne faisons-nous que pendouiller dans une matrice, qui elle même pendouille dans les limbes antérieures du big bang ?
Et oui, je vous avais prévenu que le roi nu est en pleine crise existentielle… Du coup, le roi nu décide d’aller consulter une psy :
— Docteur, je vais pas bien.
— Je sais, j’ai vu. Vous avez la sensation d’être nu et de pendouiller.
— [Le regardant de la tête aux pieds]. Le métier. Un certain sens de l’observation.
— Et d’après-vous c’est grave ?
— De quoi ?
— D’avoir la sensation d’être nu et de pendouiller ?
— Non, vous verrez, on s’y fait. Comme dit le proverbe de Newton : Un tiens tu pendouilles vaut mieux que deux tiens t’es tombé et t’es pourri.
— Quoi ?
— Un tiens tu pendouilles vaut mieux que deux tiens t’es tombé et t’es pourri.
— Tiens oui, c’est pas faux. J’y avais pas pensé.
— Parlez-moi de votre enfance. A quand remonte votre sensation de nudité ?
— Aussi loin que remonte ma mémoire, je suis nu et je pendouille. J’ai l’impression d’être né comme ça, c’est horrible.
— Mais non, c’est pas horrible. Comme dit le proverbe de Lavoisier : Rien ne se perd, rien ne se crée, tout pendouille. Voilà tout !
— Heu… Dites docteur, je vais pas mieux là…
— Vous êtes trop pressé Majesté. Qui veut voyager nu ménage ses attributs qui pendouillent.
— Vous aimez bien les proverbes, vous !
— C’est vrai ! Comme disait mon beau-frère Maurice, « les proverbes, c’est l’art de pendouiller avec élégance. Les proverbes néologiques, c’est l’art de pendouiller en liberté ». Pensez-y. On se revoit la semaine prochaine ?
— Merci docteur.
Du coup le roi nu perplexe, rentre au palais dans son carrosse hybride électrique pour-sauver-la-planète. Cette histoire de proverbes néologiques lui trotte dans la tête. Une fois dans ses appartements, bien installé dans son rocking-trône, il se sert un kir royal dans un verre en cristal de la manufacture royale, accompagné d’une galette des rois flambée au Bourbon, et allume Radio Royale Inter. On y parle beaucoup d’un variant prénommé Omicron. « Omicron mais costaud ! » dit un outre-parleur qualifié de journaliste.
Outre-parleur plein comme une outre tant va l’outre à l’info qu’à la fin elle se casse Outre-auditeur plein comme une outre à la fin coupe la radio et dit « ta gueule je me casse »
Omicron donc, mais costaud. Un variant qui va tout clouer au sol : les avions de la compagnie Air Majesté, les bourses royales, et pire, pire ! il risque de clouer au sol la saison de ski et les séjours à Disneyland. Noël, même Noël serait en danger. Oui Noël ! C’est terrible ! Et attendez, il y a peut-être même pire : on risque de fermer les salles de fitness ! Terrible !
Décidément, souvent variant varie songe le roi nu. Qui variera verra lui répond une petite voix intérieure. Variant qui roule n’amasse pas mousse, dit une autre voix. Au royaume des variants avariés, les vendeurs de vaccins sont rois, dit encore une autre.
Du coup, grâce aux proverbes néologiques, la crise existentielle du roi nu prend une tournure ludique, ce qui, à défaut de retrouver l’insouciance, n’est pas une guérison à mépriser.
Quand un proverb’ néologique De nos espoirs saisit le sens Il offr’ un espace ludique Malgré nos rêv’ d’insouciance
Et si nos cœurs pendouillent’ au vent C’est que nos corps sont bien vivants Qui trop embrasse le destin L’esprit de fête mal étreint
Quant à vous chers amis ruraux Mangez buvez chantez jouez Car loin de nous laisser tomber Nous pendouillons non sans culot
— Vous voyez pas dans qu’on est dans la merde jusqu’au cou ?
La jeune fille s’énerve.
— Ça branle dans le manche de partout putain !
Le roi nu fait mine d’être choqué.
— Mais bordel, sors-toi les doigts !
Le roi nu n’a jamais entendu pareil langage.
— Putain d’enculé de boomer ! On aurait dû tous les congeler à la naissance ! Quel ramassis de vieux croûtons ! Tout ce qui vous intéresse, c’est vos couilles !
Le roi nu ne comprend pas. Ça veut dire quoi boomer ? Il aimait bien les booms, ça lui rappelle sa jeunesse. C’était bien les booms, avec le quart d’heure américain, la boule à facettes, et surtout, les slows. Les slows… Les mains sur les hanches. Jamais retrouvé pareille émotion. Juste les mains sur les hanches ! C’est dingue quand il y repense.
— Je ne peux pas vous laisser dire ça, répond le roi nu (c’est la phrase qu’il dit habituellement en pareil cas, prenant un air supérieur).
— Et ben si Ducon, tu peux me laisser dire ça. Maintenant que c’est sorti de ma bouche, tu vas pas le faire rentrer espèce d’abruti. Tu piges connard ?
Du coup le roi nu, flatté d’avoir été traité de branleur, organise une POC26 et y invite tous ses copains souverains des royaumes alentours. On n’arrive à rien par la contrainte, il faut du plaisir, songe-t’il, encore plongé dans ses souvenirs de slows et de hanches.
Du coup le roi nu se fait plaisir dans un discours inaugural amphigourique :
— Mes chers concisouverain.e.s, soyez les bienvenus à cette vingt-sixième Partie Onanique Collective. L’heure est grave, notre maison brûle et nous regardons la télé droit dans nos bottes. La situation m’oblige et c’est pourquoi j’ai souhaité nous réunir. En ces temps abscons, dans les limbes du monde d’avant et dans la géhenne du monde d’après, nous devons faire preuve d’audace et en cela, notre onanisme héréditaire doit nous servir de boussole, car qui veut voyager loin astique sa monture, ainsi, face aux défis de notre temps, et aux attentes légitimes de nos concisujets, il ne sera pas dit que nous sommes restés les bras ballants et les mains vides. Alors, mes frères et sœurs en souveraineté, astiquez, astiquons, et que cette POC26 passe dans les annales des temps postérieurs.
Le roi nu s’éclate au volant de son bolide hybride débridé pour-sauver-la-planète. Il accélère à fond dans la ligne (extrême) droite, passe la quatrième, la cinquième, la sixième (extinction de masse), et perd sa pédale de frein dans le virage (de la croissance verte). Qu’à cela ne tienne, il décide de continuer d’appuyer sur le champignon (atomique).
Car le roi nu aime beaucoup les champignons. Bien sûr dans son royaume, le plus connu est le cèpe, bon gros baveux des bois (et des omelettes, baveuses itou). Le roi aime aussi les mousserons, les girolles et les pieds de mouton (petit patapon). Mais sa champignonne préférée est depuis toujours la trompette de la mort (dont la renommée est bien mal embouchée).
Trompette de la mort exquise belle entonnoire de profondis senteurs poivrées et enivrantes robe moirée, veuve aguichante
C’est la saison des champignons (atomiques). Du coup le roi nu appuie sur le champignon (atomique) et veut qu’il en pousse partout (atomique). Des petits, des grands, des gros, des qui fuient (énurésie atomique). Du coup il vend aux concisujets plein de bagnoles (électriques), comme ça les concisujets consentiront plus facilement à appuyer sur le champignon (atomique).
Chauffeur champion Appuie électrique Mignons champignons Atomiques magiques Trompettes au volant La bombe au tournant
Un roi nu bon marché est rare. Ce qui est rare est cher. Un roi nu bon marché est cher.
Les concisujets aiment bien se payer le corps du roi pour se détendre. Moyennant une contribution modique, ils peuvent profiter de son corps nu pendant un instant, sous réserve bien sûr, d’enfiler quelque protection sanitaire. Accouplement éphémère mais vif, il permet au concisujet de soulager sa frustration de naissance, d’oublier la dureté du quotidien, de s’illusionner sur la maîtrise du cours de sa vie. Il ressort de la chambre rouge du palais, tout sourire, se vantant alentours : « Je l’ai bien entubé le salaud ! ». Et le chambellan des coïts royaux de crier « a coïté » en tamponnant le passeport coïtal.
Le roi nu, de son côté, accepte sans rechigner ce rituel royal que d’aucun trouverait éprouvant. Mais les lois de la sélection naturelle et de l’adaptation des espèces ont doté la dynastie royale d’attributs génitaux astucieusement renforcés et insensibles, contrairement au commun des espèces (oui des attributs qui pendouillent, on a compris). Des ethnologues ont estimé environ à douze-mille passes par soirée, soit un peu moins d’un coït par seconde, la performance du roi nu. Des sociologues ont calculé qu’en moyenne chaque concisujet s’accouple au roi nu une fois tous les onze ans. Des psychologues ont déduit que onze ans est une fréquence optimisée de gestion des émotions liées aux frustrations issues des rapports de domination. Du coup, cette forme de socialité du régipatéticien, cousinage lointain des mœurs bonobos, permet au royaume de maintenir une certaine paix sociale depuis des lustres.
Depuis quelques mois, le roi nu se réveille chaque matin de plus en plus en pénurie. Du coup, il est de plus en plus cher. Du coup, les concisujets vont au roi nu de moins en moins souvent (oui, dans le bas peuple, on dit « aller au roi nu » et pas « aller chez le roi nu »). Du coup, les concisujets ont de plus en plus de mal à gérer leurs émotions liées aux frustrations issues des rapports de domination.
Hier, le roi nu écoutait la radio royale et il a entendu plein de gens déclarer leur candidature. Tous ces gens donnaient l’impression d’être des gens très importants. Du coup, le roi nu s’est senti vexé parce-qu’à sa connaissance, il n’est pas candidat, mais il est important.
Du coup il décide d’être aussi candidat. Non mais. Sans déconner. Du coup, il profite de croiser sa miministre de la transition vers l’autre monde d’après :
— Dites-moi, Barbara ? A quoi tous ces gens sont-ils candidats ?
— Aucune idée. Mais cela n’a aucune importance. Eux-mêmes ne savent pas. Comme disait le baron, l’important c’est d’être candidat. Inventez ce que vous voulez.
Du coup le roi nu prépare sa candidature. Déjà, il commence à se sentir important.
— Barbara, aidez-moi, à quoi pourrais-je être candidat ?
— Il y a un truc qui marche bien en ce moment dans les panels d’analyse d’opinion, c’est candidat pour-sauver-la-planète. Ça permettrait de manger 3,5 points de parts de marché sur votre droite et 2,5 sur votre gauche tout en solidifiant votre positionnement marketing au-dessus des parties royales qui pendouillent.
— Bof, répond le roi nu, pas convaincu. Notre truc, dans la dynastie, c’est plutôt la promesse de bourgeoisie.
— Que diriez-vous de la bourgeoisie pour tous, Majesté ?
— Excellent ! Ça me plaît. Très traditionnel et moderne à la fois. J’ai toujours rêvé de jouer de la triangulation dans l’orchestre.
Du coup le roi nu déclame son discours de candidature à la télé. Les concisujets sont contents car il leur promet un pavillon de 85m2 avec un crépi lisse dessus, un chien qui fait caca sur le gazon tondu par un mouton électronique qui fait pas caca, un SUV blanc dans le garage avec un portail à télécommande pour pas sortir sous la pluie qui mouille, une semaine de queue au portique du téléski comme si t’étais dans le métro, un pèlerinage à Disneyland le week-end de l’Ascension de Mickey au paradis, un emploi de contrôleur de la consolidation des tableurs synchronisés dans le cloud, une cafetière domotique à triple percolateur latéral, un abonnement à vie à tous les contenus culturels de première nécessité comme la saison de ligue A de l’amour est dans la culotte…
Du coup le roi nu est candidat. Comme ça, il se sent important.
Le roi nu rêve depuis toujours d’emmener ses enfants à Disneyland. Il travaille dur et met de l’argent de côté depuis des années. Il en va de son estime de père, et plus, de ses chances d’aller au paradis en respectant le cinquième précepte de sa religion royale.
— Le père qui n’emmène pas ses enfants en pèlerinage à Disneyland au moins une fois avant de mourir, est un bien piètre père, lit-on, en filigrane, sur la brochure.
La religion royale a la particularité de ne se donner à connaître ni sous forme de paraboles, ni sous forme de versets, de sourates, de commandements, d’interprétations exégétiques, de dharma, ou d’épîtres. Elle se déploie sous forme de filigranes. Dans des brochures, des messages de toute sorte, et plus largement, s’insère astucieusement sous tout contenu médiatique. Cette spécificité canonique rend la religion royale particulièrement originale en ceci que, contrairement aux autres religions, la plupart de ses adeptes ignorent en être. Mais en sont. Tous. De près ou de loin. Qu’ils le veuillent ou non. Bon gré mal gré. En sont.
— Mes enfants, le week-end prochain, on va à Disneyland ! S’exclame le roi nu.
Du coup, les princes et princesses sont tout excités. Depuis le temps qu’ils tannaient leur père !
— Voilà qui me réjouit, dit le roi nu. Pour une fois, vous n’êtes pas grognons. Cela me fait plaisir de vous voir si positifs. La positive-attitude, mes enfants, c’est l’attitude que j’attends de chacun dans mon royaume. C’est sur la positive-attitude que notre dynastie a fondé la prospérité de notre startup-royaume. Ne l’oubliez pas.
Du coup, le roi nu et ses enfants se font refouler à Disneyland parce-qu’ils sont positifs. Du coup, ils veulent absolument devenir négatifs. Du coup le royaume devient un stopdown-royaume fondé sur la négative-attitude.
Le vigile. Solide gaillard de deux mètres-zéro-deux, la trentaine, noir. Il avance sa main droite munie d’un smartphone. Professionnel.
— Montrez-moi votre laissez-passer !
Le roi nu. Tombant des nues.
— Mais. Mais je suis le roi quand même ! C’est chez moi ici.
Le vigile. L’air de celui qui en a vu d’autres.
— M’en fous. Pas de laissez-passer, vous passez pas. C’est les ordres.
Le roi nu.
— Mais c’est moi qui donne les ordres !
Le vigile. Ironique.
— Sans blague ! Et c’est payé à l’heure ou à la pièce ?
Le roi nu. Abattu.
— Ce n’est pas drôle. C’est une charge harassante.
Pendant ce temps, le vigile continue de flasher des QR codes d’invités en tenues de soirée. L’ambiance est à la fête.
Le vigile. Sceptique.
— De toutes façons, vous êtes pas le roi.
Le roi nu. Incrédule.
— Mais ! Comment ! Mais si ! C’est moi, voyons.
Le vigile. Provocateur
— Bien sûr. Et moi je suis blanche-neige.
Le roi nu. Méfiant. Regardant à droite à gauche.
— Ah non ! Je vous vois venir. Il y a une caméra ? Ne me faites pas passer pour un raciste. J’ai des amis noirs.
Le vigile. Examinant le roi de la tête aux pieds.
— Moi, ce que je vois, c’est un mec qui se ballade à poil sans laissez-passer.
Le roi nu. Larmoyant et vaguement gêné.
— Mais… et mes attributs royaux qui pendouillent, ce n’est pas une preuve ? Tout le monde les connaît de nos jours. Je suis passé à la télé.
Le vigile. Mort de rire.
— Ça ! N’importe qui peut s’acheter les mêmes à la Foirefouille à 4€99, tombé direct d’un conteneur chinois. Ça prouve rien. Ils font des imitations de malades les chinetoques. L’autre jour mon neveu a ramené un pistolet en plastique…
Le roi nu. S’énervant. Il tente de forcer le passage sur le côté du vigile.
— Maintenant, ça suffit ! Je suis le roi ! Laissez-moi passer !
Le vigile. Repoussant le roi nonchalamment comme un doigt repousse une miette de pain sur la table.
— Dis donc, la panoplie Foirefouille, si t’allais plutôt jouer avec Superman et son slip en lycra.
Le roi nu.
— Mais où vous vous voulez que j’aille ? Je ne connais que le palais ?
Le vigile. S’en foutant royalement. Il continue de flasher les QR codes des autres invités. Arrive un couple en magnifique tenue de soirée, bagues et rangées de colliers.
— Tiens, le comte et la comtesse de Pinault ! Entrez, soyez les bienvenus. L’orchestre autotuné se met juste en place.
La comtesse dévisage le roi de la tête au pieds.
Le vigile. À la comtesse, complice.
— Je sais, c’est pas joli joli. Pas de QR code.
La comtesse. En s’éloignant, soufflant à son mari. Comme il se doit, suffisamment fort pour être entendue.
— Quelle honte ! Pas de QR code. Et tu as vu ces attributs ? C’est d’un kitch ! Quel mauvais goût !
Avant, avec ses concisujets, ça roulait tout seul. Le roi nu n’avait pas besoin de se poser mille questions. La plupart des gens croyaient en son royaume d’abondance éternelle. Ce n’est plus le cas. Beaucoup n’y croient plus car la faillite géophysique du royaume est de plus en plus patente. Mais attention, ce n’est pas encore officiel.
Tant qu’une chose n’est pas officielle, existe-t’elle ? Une croyance agonise, puis meurt, puis se présente au purgatoire des croyances, y demeure longtemps, puis seulement sa mort est rendue officielle. Elle repose alors enfin au paradis des croyances. Certaines ont un mausolée en or massif, d’autres un caveau en granit rose de Perros-Guirec, d’autres gisent entre quatre planches vermoulues dans le carré des indigents, d’autres enfin, enroulées ou pas dans des draps de lin, s’entassent dans la fosse commune (du temps). Les croyances, alors débarrassées de leurs obligations régaliennes, se révèlent aptes à l’autodérision collective. Elles rigolent bien entre elles, se remémorant leur naïveté d’antan.
Du coup, le roi nu se sent fatigué, ralenti. Il a l’impression d’avancer péniblement dans une glaise lourde et poisseuse. Ses attributs royaux qui pendouillent lui pèsent aussi. Certains jours, il se dit qu’il s’en passerait bien. Le marketing royal, jadis si performant, s’est retourné contre le roi comme une arme incontrôlable.
— Salauds de concisujets, s’exclame le roi nu. Je les ai segmentés à l’envi pour optimiser l’excitation de leurs stimulus maslowiens. J’ai investi dans un super marketing-mix multifonction à mille-quatre-cent boules pour leur cuisiner un royaume aux petits oignons !
Mais à force de segmenter les concisujets, la reliance entre eux s’est évaporée et la croyance royale avec. Du coup, face à tant d’indifférence ou d’hostilité, le roi nu se demande s’il ne devrait pas devenir obligatoire. Car il croit que cela pourrait résoudre son problème. Il se demande. Il croit. Croyance. Purgatoire. Officiel. Mausolée. Fosse commune. A nouveau.
Le roi nu est tout excité. Ce soir il s’envoie en l’air. C’est pas tous les jours. Comprenez-le, la dernière fois c’était il y a cinq ans ! C’était d’ailleurs la première. Il en garde un souvenir impérissable. C’était merveilleux. Une incroyable sensation de peur et de sérénité mélangées. Et cette impression de toute puissance ! D’avoir une chance unique, pas comme le commun des mortels. Rien depuis cinq ans ! Comprenez-le, il est frustré.
Du coup, il a tout bien préparé. Il a embarqué quatre-vingt-dix tonnes d’ergol liquide à brûler pour-sauver-la-planète, calculé sa trajectoire, checké la check-list, fait un sourire à la caméra comme stipulé par son contrat. C’est d’ailleurs un peu pour la blancheur de ses dents qu’il a été sélectionné pour s’envoyer en l’air. Du coup, il est fier et tous les concisujets du royaume sont fiers grâce à lui. Ils se disent qu’ils sont un grand peuple puisqu’ils ont réussi à envoyer un des leurs en l’air. Les belles-mères rêvent de l’avoir comme gendre, pour des raisons différentes des beaux-pères. Tout le monde rêve à travers lui de s’envoyer aussi en l’air. Et d’échapper à la vitesse foudroyante du hasard et à la gravitation harassante de la nécessité.
Et hop, le roi nu s’est envoyé en l’air.
Du coup, le roi nu est maintenant sur orbite à s’émerveiller de la beauté de la planète et à faire caca en apesanteur dans un sac plastique. De là-haut, il voit les choses autrement. Il trouve que la planète est fragile. Qu’on devrait arrêter de faire la guerre. Que ses enfants lui manquent. Que grâce à la recherche, on va faire un grand pas pour l’humanité. Qu’on est tous sur le même navire. Qu’il faudrait moins de pauvres et leur donner à boire de l’eau potable. Que le fromage lui manque. Que ses attributs royaux qui pendouillent sont bien peu de choses sans gravitation universelle.
En même temps, comme c’est la deuxième fois qu’il s’envoie en l’air, ce n’est plus pareil. Il n’y croit déjà plus vraiment. Qu’a-t’on fait depuis cinq ans ? Qu’est-ce qui a changé depuis cinq ans ? … Et depuis soixante ans ?
Du coup le roi nu s’est bien éclaté à s’envoyer en l’air, mais c’était pas pareil.
Le roi nu a peur de sauter. Pas dans une flaque à pieds joints ! Non, il a peur d’être viré. D’être accusé d’avoir fait une connerie. Du coup, il respecte scrupuleusement les règles. Il a appris ça très jeune. Si tu respectes les règles, t’es pas viré. Il garde le souvenir aigre de toutes les fois où il a été viré : D’un match de foot, de la classe, d’une bande de copains, de sa femme. C’est une sensation très désagréable, comme de recevoir un seau d’eau sur la tête. La douche froide. Du coup, depuis, il fait vachement gaffe. Et au pire, il ouvre son parapluie. Et encore, il faut être prudent ; une fois il s’est coincé les attributs royaux qui pendouillent dans une baleine bleue échouée sur la plage d’un parapluie de Cherbourg.
C’est très difficile de ne pas être viré. Parce-que bien souvent, les situations sont compliquées et que les règles n’ont pas tout prévu. D’ailleurs quand il y pense, le roi nu est consterné de constater que depuis le code romain, le code justinien, le code napoléonien, bien qu’on ait encore considérablement intensifié nos efforts en matières de codes, il y ait encore tant de situations où il se sente en insécurité. Parce-que tout n’est pas écrit dans les codes. Ça l’insécurise. C’est scandaleux. Il croyait que ça y était, que sa civilisation à lui était civilisée grâce au code civil. Pas comme les autres, cette bande de sauvages.
En ce moment, et pour quelques décennies, à cause de la co-pandémie, le roi nu est confronté à plein de situations pas prévues dans les codes. Du coup il ouvre son parapluie pour un oui ou pour un non. Du coup tout le monde ouvre son parapluie. Du coup tous les chefs de tout le monde ouvrent leur parapluie. Les chefs des chefs de tout le monde ouvrent leur parapluie. Comme tout le monde est entassé avec tous ces parapluie ouverts, on n’y voit plus à trois mètres. Du coup personne ne sait où aller, d’autant que plein de gens sont borgnes à cause des accidents de parapluies.
Du coup au royaume des borgnes sous parapluie, ceux qui n’ont pas de parapluie mais un ciré et des bottes, sont rois. Et pas nus.
Le roi nu n’est jamais à court d’idée pour stimuler l’émancipation de ses concisujets.
Après avoir diligenté une grève générale en mars 2020 (ce qui ne manquait pas de piquant), après avoir organisé une grande formation à la désobéissance civile en novembre 2020 (ce qui ne manquait pas de sel), le voici maintenant à se creuser la tête pour rendre utile et nécessaire la troisième vague de co-pandémie (virale, géophysique et mentale, pour ceux qui suivent).
Car le roi nu, ayant été formé dans les meilleures écoles métaphysiques du royaume, sait que chaque crise est source d’opportunités pour qui sait les saisir. Il se souvient des paroles du grand mystique Joseph Schumpeter, pour qui toute destruction est créatrice, donc allons-y gaiement. Ainsi que celles de Monseigneur le cardinal Adam Smith, dont la main invisible aimait tripoter, dit-on, l’érection de la croissance. Si vous n’êtes pas sensible à ces prophètes, le roi nu ne peut rien pour vous, vous êtes un loser, certainement rétif au progrès, sans doute populiste, probablement islamo-gauchiste, vraisemblablement complotiste, et in fine, potentiellement terroriste.
Du coup le roi nu convoque son miministre des nouvelles officiellement débunkées.
— Cher Gabriel, asseyez-vous. Vous prendrez bien une tasse de royal Ceylan ?
— Merci Sire, c’est bien aimable à vous. Que puis-je faire pour votre auguste Majesté ?
— Ma majesté souhaiterait profiter du troisième confinement pour redynamiser notre religion royale. Je trouve nos concisujets un peu faibles depuis quelques années, spirituellement parlant.
— Excellente idée Majesté.
— Gabriel, conconseillez-moi. Que devrions-nous faire ?
— Majesté, le carburant de la spiritualité repose dans la souffrance morale. Le carburant de la souffrance morale repose dans la privation, la diminution ou la détérioration des rapports interpersonnels. Le carburant de la détérioration…
— Oui, bon, ça va ! Parfait, nous allons faire une expérience grandeur nature de redynamisation spirituelle de nos concisujets.
Du coup, le roi nu édicte des édits de privation, de diminution et de détérioration des rapports interpersonnels. Du coup, les concisujets souffrent. Ceux qui survivent s’interrogent sur le sens de cette souffrance. Bien malin qui peut prédire le résultat à terme de cette expérience grandeur nature de redynamisation spirituelle. Car la maîtrise des âmes est passablement plus aléatoire que celle des corps et des virus. Et comprimer un liquide vous assure de son expulsion, pas de la direction qu’il prend.
Le roi nu doute. L’expérience a accru la spiritualité des concisujets, certes. Mais les résultats médiamétriques d’adhésion à la religion royale sont mauvais. Les concisujets douteraient même des croyances officielles du royaume ! Du coup, le roi nu découvre le doute. Il a toujours cru que ses attributs royaux qui pendouillent étaient omnipotents. Seraient-ils en réalité impotents ?
Le roi nu étouffe sous l’empilement des confinements, agrémentés de masques, de tests et de vaccins. Du coup il a besoin d’un vélo et il en a commandé un vachement bien. Il l’attend avec impatience en tournant en rond sur la terrasse du palais. Du coup, il repense à ses trois anciens vélos et se dit que le temps a coulé sous les ponts de la vie, et que ses vélos ont été de bien fidèles destriers. Du coup, il s’installe à son bureau et écrit une chanson :
Salut à toi le forgeron alsacien. Tu crois que c’est une sonnette rouge que tu forges ? Tu forges les victoires des courses de mes dix ans. Du puits au laurier sauce, de l’eau oxygénée au mercurochrome. Du portail au panneau Stop, du pansement Urgo à la compresse stérile. Du cimetière à l’épicerie, du strap au plâtre. Du pont à la maison des cousins, du Dermophil indien à la Biafine. Toi le forgeron alsacien, tu forges les caractères ; tu inculques l’endurance, la résilience, l’ambition et la persévérance.
Salut à toi le soudeur polonais. Tu crois que c’est un cadre en acier de 58 que tu soudes ? Tu soudes les amitiés de mes vingt ans. Autour des feux, aux bords des lacs, aux fonds des granges, aux ombres des églises. De plans foireux en spots de rêve, des parkings immondes aux replats célestes des adrets. Pendant que les familles tricotent leur ADN et que les écoles huhuent, toi, le soudeur polonais, tu soudes le cadre des amitiés. Et de l’amour.
Salut à toi l’ingénieur japonais. Tu crois que c’est une transmission shimano que tu fabriques ? Tu fabriques les paternités de mes trente ans. Le pignon de 32 pour les réveils nocturnes hors catégorie. Le plateau de 52 pour les dimanches plats du salariat. Des butées hautes et basses, à l’avant et à l’arrière, pour ne pas dérailler. Toi l’ingénieur japonais, tu es le gardien de la fécondité, l’assureur de la transmission, la promesse des petits et gros développements.
Salut à toi le mécano savoyard. Tu crois que c’est une jante alu de 700 que tu montes ? Tu montes les chantiers déraisonnables de mes quarante ans. Se lancer, courir le risque, partir sans se retourner. Obliquer à gauche, s’engager dans l’épingle à cheveux, grignoter l’ascension. Résister au vent de face, prendre garde au vent de travers, chuter, se relever, puis savourer le vent de dos. Toi le mécano savoyard, tu montes les roues des projets fous de ceux qui ne savent pas vivre sans folie.
Salut à toi l’assembleur auvergnat. Elle est à toi cette chanson. Tu crois que c’est un vélo de randonnée que tu assembles ? Tu assembles la liberté de mes bientôt cinquante ans. Le temps sera retrouvé, l’espace redéployé. Déjà le goudron noir se fend. Dessous, le chemin qui reparaît, pas encore blanc, est poivre et sel. Il ouvre la possibilité de voyages moins rapides, mais pourquoi pas, plus lointains. Toi l’assembleur auvergnat, tu assembles la vie qui monte avec celle qui descend.
Du coup, le roi nu chante à tue-tête et a oublié l’empilement des confinements.
Le roi nu aime passionnément la propreté. Les gens sales ne peuvent pas comprendre ça. C’est une question d’éducation. Le roi nu trouve par exemple que le carré est plus propre que le rectangle, qui est plus propre que le rond, qui lui-même est plus propre que le zigzag. Encore qu’un zigzag sinusoïdal soit nettement plus propre qu’un zigzag aléatoire. Plus c’est aléatoire plus c’est sale. Bien entendu, en deux dimensions, c’est toujours plus propre qu’en trois, à cause de la perspective, qui induit par nature, tout un tas de cochonneries. C’est pourquoi le Graal de la propreté est le point ; Graal unidimensionnel, acmé de la civilisation, étoile au firmament immaculé. Certes, le point est un peu seul. Mais très propre. Et il reste plus tangible que le vide, qui certes, est plus propre, mais tellement angoissant ! Si vous ne comprenez pas ça, le roi nu ne peut rien pour vous. Vous êtes sale. Vers l’âge de deux ans, vous avez probablement raté l’examen de passage du stade anal. Le roi nu, lui, l’a réussi haut la main tendue.
En raison de son amour de la propreté, le roi nu aime éradiquer tout ce qui bouge. Oui, ce qui bouge est sale. Et ça désorganise tout ! Voyez un champ rectangle bien labouré en lignes droites parallèles ; si vous n’y prenez garde, des tas de trucs qui bougent vont s’y mettre et c’est sale. Du coup, le roi nu zigouille tout ce qui passe à sa portée. Grace à sa patience et sa persévérance, année après année, le royaume du roi nu est de plus en plus propre.
— C’est le sens de l’Histoire, s’exclame-t’il. C’est le progrès, ça brille !
Maintenant, le roi nu est embêté par des espèces invasives de plus en plus nombreuses en son royaume. Mais le roi nu ne fait pas le rapprochement entre cet évènement et son amour de la propreté. C’est sale, un point c’est tout ! Du coup, il éradique aussi les espèces invasives.
La saleté insécurise le roi nu. La vue de la saleté lui donne des démangeaisons. Car au fond de lui, il sait que les choses qui bougent auront le dernier mot et qu’elles auront raison de sa peau, de ses yeux, de ses entrailles, de ses tendons, de ses cartilages. Vision désagréable qu’il balaye donc, et enfouit inlassablement en astiquant, polissant, coupant au carré, tondant, désinfectant, passant au peigne fin. Et en éradiquant tout ce qui bouge. Comme ça, c’est propre.
Le roi nu se sent défaillir. Il avance péniblement, courbe l’échine. Des dizaines de câbles lui lacèrent les épaules. Sa chair est maintenant à vif. Son visage jadis si jovial, est creusé, tiré, émacié, méconnaissable. Le sang coule sur ses omoplates, se mélange à sa sueur et à la poussière du chemin. Le roi nu prend la couleur du chemin. Y compris ses attributs royaux qui pendouillent. Ses pieds glissent à chaque pas, cherchant quelque aspérité où s’accrocher.
ô souffrances, épines ancrées dans nos chairs si douces. Plus encor, en nos cœurs d’où jaillissent les fautes d’un passé enfoui sous les piles de dossiers qu’on voulait évanouis. Sixième station.
Le roi nu traîne des dizaines de casseroles. Des toute petites en cuivre, pour les sauces ordinaires du quotidien, celles qui donnent sens aux légumes verts, quand les oignons, sans en avoir l’air, sauvent le repas. Des grandes en inox, amies universelles des plats de nouilles d’étudiants. Des poêles à frire, à crêpes, à rissoler, à châtaignes, à paëlla. Des faitouts, pléonasme des soupes au caillou populaires et des grandes tablées d’hiver improvisées. Des cocottes à sifflet, des poêlons à fondue en fonte de Saint-Étienne, des poissonnières à couvercle, des passoires en alu, des marmites à bourguignon.
Les mois passent. Première instance. Les années passent. Appel. Les décennies passent. Cassation. Les siècles passent. Immunité collective. Du coup, le roi nu traîne la batterie de cuisine du monde.
Le roi nu a de gros soucis actuellement ; il a trop de pognon. Le pognon dégoule de partout comme la Doue qui se jette dans le Bandiat qui se jette dans la Charente qui dégoule à Saintes. Résultat de semaines d’averses têtues mouillant gentiment les terres, puis les gobergeant jusqu’à plus soif, provoquant un dégoulage dans tout le bassin versant. Supplice de l’eau bien connu. Pour le pognon du roi nu, c’est pareil. Du coup le roi nu est au supplice. Car il ne sait pas quoi en faire, de tout ce pognon. C’est embêtant. Mettez-vous à sa place. Il a déjà tout acheté. Et même trois fois sa valeur. A terme, à découvert, à haute fréquence, par dessus la jambe, des produits dérivés, à capital garanti, sur la tête de ma mère, en quatre fois sans frais, avec OPA hostile, au prorata, au poivre, au piment offshore de Cayenne, sur le second marché, avant introduction profonde en bourse, indexé sur l’euribor, l’argent du bor et le sourire de la banquière. Tout ce qu’il y a à acheter est déjà acheté. Et ça dégoule encore. A Roinuville, la cote d’alerte historique a disparu sous des flots de pognon menaçant d’emporter les piles du pont royal millénaire. Des étendues immenses de pognon se déversent dans les lits majeurs des fleuves, noyant des plaines entières, charriant au passage la misère du monde dans un tumulte assourdissant, aveuglant, anesthésiant, opportunément.
Du coup, le roi nu achète des bitcoins. Parce-que des bitcoins, c’est tout ce qui reste à acheter. Et quand y’en a plus, y’en a encore. Du coup le royaume dégoule de bitcoins, et le roi nu nage dans le bitcoin. Du coup le roi nu devient un crypto-roi nu. Avec des crypto-attributs royaux qui pendouillent.
Le roi est nu. L’hiver est long. Le roi hiberne à sa façon.
On le comprend. La nudité, surtout l’hiver, rapproche l’homme de sa vocation première, de son moi profond, de sa nature inaliénable : c’est un ours. Un plantigrade imberbe, grognon et sale. Avec des attributs royaux qui pendouillent.
Du coup, le roi nu a rapproché son canapé Ikea Ektorp (399€) du poêle Godin de son arrière-grand-père. Rapproché tout près. Ainsi lové, les pieds frôlant la fonte brûlante, il hiberne. Dès quelques jours, le canapé, le poêle et le roi nu, forment un tout, sinon homogène, du moins symbiotique, liés entre eux par un magma de bois, de restes alimentaires, de livres et de vieux mouchoirs. Le roi nu, telle une marieuse sicilienne, a entremis l’improbable alliance d’un canapé à obsolescence immédiate, avec un poêle à bois de 1931. Le roi nu hiberne dans un canapoêle. C’est son antre. Il y dort, picole, et mange des cochonneries. Il lit le journal, joue à la crapette, regarde les documentaires d’histoire sur arte, envoie des mails, écoute en boucle les deux derniers morceaux de l’album « famous last words » de Supertramp. Et pleure.
Du coup le roi nu renoue avec la position fœtale. Il est à l’abri des regards, loin des caméras et des courtisans, du chef du protocole et de l’archevêque. Loin même du miroir de la salle de bain. Seuls ses personnages intérieurs peuvent le voir quand il les convoque, et c’est un délicieux soulagement de ne vivre qu’avec eux. L’hibernation abolit le temps. Les jours si courts, les nuits si longues, les sons si atténués. Le temps s’engourdit, figé. L’hibernation suspend le temps et calibre l’espace au vrai nécessaire : un canapoêle.
Le roi est nu. L’hiver est long. Le roi hiberne à sa façon.
— Papô, raconte-nous une histoire, disèrent les petits nenfants du roi nu ce soir-là.
— D’accord, mes enfants, réponda le roi nu. Ayez l’obligeance de vous asseoir sur vos deux derrières, enlevez vos dix doigts de vos deux narines, posez vos deux mains sur vos deux genoux, et écoutez avec vos deux oreilles décollées.
Les nenfants pouffirent de rire avec leurs vingt-quatre dents blanches et se taisèrent. Le roi faisa un long silence et chacun regardait danser l’ombre des bougies sur le nez fleuri du roi nu.
— Je vais vous raconter ma naissance, commença le roi nu. Il y a bien longtemps, un prince naquit…
— Ça veut dire quoi naki ? demanda Aldebert.
— C’est quand t’es à poil, réponda sa grande sœur Hildegarde.
— Cessez de m’interrompre les enfants… Je suis né dans une mangeoire, entre un âne qui s’appelait « Culotte » et un bœuf qui s’appelait « Carotte ».
— Hihi ! Faisèrent en chœur les petits nenfants.
— Au pied de la mangeoire, il y avait un sapin, roi des forêts, avec des attributs qui pendouillent et clignotent.
— Waah ! Faisèrent les petits nenfants les yeux écarquillés. Moi aussi je voudrais bien des attributs qui clignotent, disa Aldebert !
— Le nâne-Culotte disait au bœuf-Carotte :
— Boudu, t’as-tu vu le bébé dans la mangeoire ? Il a tout l’air d’un prince.
— T’es-tu bien sûr ? réponda Carotte. Un prince ne naît pas dans une mangeoire, il naît dans un chou à baldaquin !
— Sur les entrefaites, arriva un roi mage qui descenda du ciel sur son traîneau tiré par des rennes qui zaimaient beaucoup vivre le vent, vivre le vent, vivre le vent d’hiver. Il apportait des cadeaux comme une PS4, des chocolats d’ambassadeur, une poupée blondasse qui parle pour rien dire, un déguisement de superman en lycra qui fait de l’électricité statique quand on éteint la lumière, un camion de pompier pour éteindre la maison en feu, le sapin dans la maison, et les bougies sous le sapin…
— Boudu, disa Culotte, il ne va jamais réussir à tout faire rentrer dans un seul petit soulier.
— T’aquiète, réponda Carotte, il va mettre les cadeaux à côté.
— Mais on n’a pas le droit ! intervena Culotte.
— C’est vrai, disa Carotte, mais le roi mage est un magicien et du coup il se moque des lois. Sinon, il ne serait pas magicien. Il serait opérateur de bétonnière itinérant, technicien de surfaces horizontales ou verticales, agent du maintien de l’ordre antérieur ou postérieur, livreur-cascadeur deliveroo connecté, inséminateur artificiel de bovines, ou consultant en optimisation de la reproduction du capital hérité. Mais le roi mage est un magicien qui ce jour-là, a décidé de faire déborder les cadeaux hors des souliers.
— Et c’est depuis ce temps-là, conclua le roi nu, que les cadeaux de Noël ont le droit de déborder hors des souliers. Cette année-là il m’aurait fallu 11,54 souliers. C’est ce qu’on appelle désormais la magie de Noël.
— Et c’est pour ça que nous, tes enfants, on est des rois, disa Aldebert.
— Et c’est pour ça qu’on est tout nus, enchéra Hildegarde.
Du coup l’auteur du roi nu vous souhaite un joyeux Noël avec surtout de l’amour, de la paix, et de la joie. Les trois tenant facilement même dans un tout petit soulier.
Le roi nu est bien content. On lui a dit que les émissions de CO2 ont baissé de 7% cette année. Du coup, emporté par son enthousiasme, il a tchatté avec ses potes des royaumes alentours et ils ont décidé solennellement dans un tweet historique : « on va baisser les émissions de CO2 de 55% d’ici 2030 ». Au départ, ils ont envisagé 50% mais ils se sont dit que 55% ça fait plus crédible. Une reine qui travaille dans le marketing a proposé 54.99% mais sa motion n’a pas été retenue. Tout le monde était vachement content de faire des tweets pour faire baisser les émissions de CO2. C’était très excitant et ils se disaient tous : voilà qui donne sens à ma vie, je me sens utile, je change le monde, je sauve la planète ! Décidément se dit le roi nu, cette année 2020 est pleine de bonnes ondes positives.
Du coup, le roi nu est soulagé parce-que finalement la planète va pas cramer et sa dynastie de princes dotés d’attributs princiers qui pendouillent va pouvoir se perpétuer.
Le roi nu s’installe confortablement dans son rocking-chair face au soleil couchant en sirotant un kir royal. Il rêvasse. Il retrouve les sensations d’insouciance de ses années de collégien, quand l’essentiel de sa vie tournait autour d’un ballon. L’école, les filles, les parents, n’étaient alors que des banlieues dortoirs de ce ballon. Hélas, toute rêverie, pour douce qu’elle soit, n’en est pas moins caractérielle. Telle Judith s’introduisant sous la tente d’Holopherne, elle vous séduit pour mieux vous décapiter dès que vous avez bu un peu trop. Elle part en chasse dans la forêt insondable des neurones jusqu’à trouver sa proie ; trauma tapi depuis trente ans sous un amas de synapses. Cette fois-ci, la rêverie du roi nu s’égare dans les souvenirs d’un cours de maths de Monsieur Keïta. Mathématique, trauma, Keïta, Pythagore, thagore, gore, trauma, Holopherne, décapitation, lapidation, crucifixion, croix, produit en croix…
Le roi nu se réveille en sueur, les yeux exorbités, la langue pâteuse collée au palais royal.
— Merde ! Le produit en croix ! Putain de Keïta, s’écrie le roi nu. (car le roi nu au réveil, avec une gueule de bois, est plus proche de l’état de nature).
Du coup, le roi nu se précipite sur sa calculatrice Casio FX92 à 17€99 sur www.boulanger.com (ou au marché de Piégut le mercredi matin demandez Patrick, ou le samedi matin à Nontron demandez Cyril. Ils vont être contents, surtout que, ironie du sort, démunis de calculatrice, ils demandent aux clients de faire les calculs mentaux pour rendre la monnaie, on croit rêver !).
((−10% de PIB en 2020)×(−55% de CO2 d’ici 2030))/(−7% de CO2 en 2020)=(−78,571428571% de PIB d’ici 2030). Le roi nu se frotte les yeux. 78% de décroissance ! Merde. Du coup, il va voir au garage s’il lui reste encore de la peinture verte ; et oui. Du coup il décide de tweeter qu’on va faire 78% de croissance verte d’ici 2030. Du coup il reprend un verre de kir royal.
Il y a quelques semaines, le roi nu a lancé avec son miministre de la balance à deux vitesses ainsi que celui du monopole matraqual légitime, une expérimentation grandeur nature.
— Eric, Gérald, chers amis, j’aimerais faire à l’échelle du royaume, un « stress test » comme on dit dans les milieux bancaires.
— Excellente idée, votre Majesté, répondent-ils en chœur.
Très enjoué le roi nu improvise un petit quatrain :
Ah ! Banques ! Nostalgies enfouies de ma jeunesse Que n’aurais-je prêté, ô clients éperdus ! Et vous, âmes dorées, vos intérêts caressent, Où Rothschild en vos bras s’épanouit repus.
— Magnifique Majesté, j’ai pleuré, s’exclame le petit Gérald.
— Que n’eussiez-vous chanté, c’eût été le pompon, enchérit le gros Eric, espérant que le roi remarquât son alexandrin.
— Merci mes braves, mais revenons à mes moutons, répond le roi, à l’intention d’Eric, tandis que Gérald, moins poète, se cure le nez, songeant à sa prochaine commande de L.B.D.
— Oui, à quoi pensiez-vous, Majesté ? Votre initiative de grève générale au mois de mars a été un franc succès.
— Justement j’aimerais profiter du deuxième confinement qui nous accable pour former nos concisujets à la désobéissance civile.
— Quel génie ! Quelle chance nous avons de vous avoir comme Majesté, votre Majesté !
— Mettez-moi en place un programme ad-hoc, ordonne le roi. Et agissez avec discernement.
Du coup, les deux miministres se mettent au travail, dessinent des affiches, rédigent des attestations, tracent des lignes jaunes, produisent des protocoles.
— Prenez garde cher Gérald, de dire à vos gens d’arme, d’agir avec discernement, dit Eric.
— N’ayez crainte, Eric, nous procéderons à non pas dix, mais cent, mille ou cent-mille cernements s’il le faut.
Passent les semaines, vient l’heure du bilan. Du coup, les deux miministres se rendent au palais.
— Majesté, dit le gros Eric, les résultats sont au-delà de nos attentes. Vos concisujets ont désobéi en masse. Pas un seul n’a respecté les consignes. Ils ont été remarquablement inventifs. Ils ont coché toutes les cases. Les célibataires sont allés chercher des enfants imaginaires à l’école ; Les époux sont allés rendre visite à leurs maîtresses vulnérables ; Les chômeurs n’ont jamais eu autant d’entretiens d’embauche ! L’étalon du kilomètre a enflé de 50% chaque semaine. Ils ont tous mis au moins une fois leur masque sous le nez. Un concisujet s’est même confectionné un masque en dentelle !
— Comme c’est astucieux, s’exclame le roi nu, enchanté.
— Et conformément à vos consignes, ajoute le petit Gérald, nous avons agi avec beaucoup de cernements.
Le roi nu a de plus en plus de mal à se faire une représentation de la réalité de son royaume.
Confiné en son palais, le bruit du monde ne lui parvient plus que par le prisme déformant de ses écrans domestiques : téléviseur Toshiba HD à écran plat XXL grand comme une fenêtre sauf que tu peux pas l’ouvrir pour aérer ; tablette de canapé Acer Wifi H24-7j/7 plus solide qu’une ardoise si ta belle-mère s’assoit dessus ; smartphone Samsung à écran incurvé j’ai pas compris à quoi ça sert mais c’est vachement bien ; PC Dell à processeur overclocké et ventilateurs hypercooling pour optimiser le gaming comme si tu y étais. Batteries au lithium bolivien, cartes électroniques au graphite chinois, cuivre chilien, cobalt congolais, nickel indonésien, or sud-africain, enrobé dans du plastique de pétrole russe et du verre de quartz de Saint-Paul-la-Roche (24). Mendeleïev, réveille-toi, ils sont devenus fous !
Or les écrans disent n’importe quoi. Tout, et son contraire, et le bébé du bain. À tort, à travers, c’est rigolo mais c’est salaud. À hue, à dia, a maxima culpa. Par monts, par vaux, par Toutatis. Adieu la cohérence des idées, les liens de cause à effet, le temps de réflexion, de délibération, d’interprétation, d’émergence du consensus ; la chasse au sophisme, la pêche à la tautologie, la cueillette de litotes ; la décantation nocturne du sommeil du juste, l’observation clinique des reproductions systémiques, l’analyse simulatoire des effets rebonds ; pis, adieu le vagabondage de l’ennui sérendipitaire.
Du coup le roi nu ne comprend plus rien. Et ce n’est pas possible. De ne plus rien comprendre. Le cerveau humain du roi nu n’est pas compatible avec la non-représentation du monde. Contrairement aux cerveaux de la vache holstein victime d’acidose ruminale chronique, du bousier coprophage, de la mouche scatophage-du-fumier, et du héron garde-boeuf. La non-représentation cohérente du monde cause au roi nu d’affreuses migraines et le rend suicidaire. Du coup, dans un réflexe de survie, insidieusement, il troque sa vision systémique par une vision complotiste. Hold-up sur sa vision du monde.
Du coup, il troque sa capacité d’action collective risquée extérieure, par une douce tétanie domestique de sécurité intérieure globale. Du coup, le roi nu accouche, avec ses attributs royaux qui pendouillent, d’un régime globalitaire.
La semaine dernière, le roi nu s’est fait injecter un nouveau vaccin efficace à 90%. L’effet a été immédiat même si ce fut un peu douloureux.
— Sire, le prévint le médecin des attributs royaux qui pendouillent, nous avons trouvé un nouveau vaccin merveilleux.
— Formidable ! Inoculez-le moi tout de suite, ordonna le roi.
Car le roi nu depuis son plus jeune âge, est habitué à tout obtenir tout de suite, grâce à ses comptes Amazon premium, Dacia Premium, Nespresso Premium, Castorama, BNP Asset Management, La Halle aux chaussures, Nouvel Obs, Friskies, Pataterie Premium. Et Bercy Premium. C’est d’ailleurs une caractéristique qui le distingue du reste de l’humanité ; le reste du monde est habitué à attendre car il n’a pas de compte Premium. Voire pour la plupart, pas de compte du tout. Du coup, ils attendent.
— Sire, je suis néanmoins toutefois, heu, nonobstant, un peu embarrassé.
— Voyons Jérôme, ne soyez pas timoré !
— Certes Sire. Voilà : le vaccin doit être inoculé directement dans vos bourses royales.
— A la guerre comme à la guerre, disaient mes aïeuls. Sauver mes bourses ou périr. Faites !
Du coup, le roi nu et son médecin des attributs royaux qui pendouillent s’installent dans la salle de garde des marchés, et le roi se fait inoculer le nouveau vaccin. Du coup, les bourses royales remontent immédiatement.
— Le royaume, c’est moi ! Cessez de m’importuner avec vos considérations mesquines !
Le roi nu est agacé par les atermoiements de son miministre des poids et mesures. Celui-ci est venu lui annoncer que tous les indicateurs des statistiques du royaume sont en baisse. La croissance récessionne, les prix déflatent, l’emploi chômardise, les actifs débullent, et la monnaie royale dévale.
— Le royaume c’est moi, répète le roi nu ! La croissance c’est moi ! Les prix, l’emploi, les actifs, la monnaie, c’est moi !
Du coup, le roi nu va chercher sa trousse à maquillage. Il s’installe devant sa glace et commence à maquiller les statistiques des poids et mesures qui pendouillent (elles aussi, pour ceux qui suivent).
— Je pondère au mascara le panier de la ménagère, et hop ! Et maintenant un petit coup d’eyeliner sur ma courbe de PIB non-marchand, et hop ! Et pour finir une grosse truelle de fonds de teint sur les intérimaires à temps partiel, et hop ! Ah, j’allais oublier le rouge à lèvre pour raviver la titrisation des actifs faisandés. Et hop !
Du coup, le roi nu et son royaume ressemblent maintenant à une vieille p… à un Miro superposé sur un Caravage. Les concisujets du roi nu hésitent à voir sa laideur et sa fausseté. Parce-que le royaume, c’est lui, et donc lui, c’est eux. Ils hésitent encore à se souvenir que beauté et vérité s’embrassent, ainsi que joie et liberté, paix et justice, égalité et prospérité. Ainsi qu’amour et pardon.
L’un des passe-temps du roi nu a toujours été de saloper les mots. C’est bien simple, quand il s’ennuie ou s’il est contrarié, il se dit : « tiens si je salopais un mot, ça me changerait les idées ! ». Du coup, il a pour technique d’ouvrir le dictionnaire et de pointer un mot au hasard. Et après il le salope. Attention, il ne le salope pas comme les enfants salopent leur salopette en cette saison gadouilleuse ; un peu de savon de Marseille et elles sont de nouveau propres comme un sous neuf. Non, quand le roi nu salope un mot, c’est irrémédiable, irréversible. Le mot ne retourne plus jamais à son état antérieur. Il est salopé à jamais.
Pour ne parler que de quelques salopades récentes, citons l’inénarrable « durable », la fameuse « transition » (qui elle-même salopa en son temps la trop religieuse « conversion »), le fils de putatif « disruptif » et dernièrement, le xénophobique « séparatisme ». Et bien sûr la courageuse « résilience » que le roi nu arracha à l’innocence des enfants traumatisés, pour la saloper jusque dans chaque séminaire de team-building des immondes chaînes franchisées du royaume.
Au cours du temps, les sujets du roi nu se sont habitués à ce petit jeu et ont appris à substituer de nouveaux mots aux mots salopés. Parce-que les sujets du roi nu aiment viscéralement les beaux mots ; les mots fleuris comme des jeunes filles, polis comme des galets du gave d’Oloron, blanchis sous le harnais du labeur. Il aiment aussi les mots acérés pour trancher dans le lard, acides pour corroder les barreaux des geôles systémiques. Et aussi les mots éruptifs, pétomanes voire pornographes.
Les sujets du roi nu aiment les beaux mots parce-qu’ils sont l’exsudation éternelle de la liberté et de la dignité. L’inverse des mots salopés.
Le roi nu aime saloper les mots. Et ce matin, le roi nu se promenait sur sa terrasse en écoutant Radio Majesté. Ses attributs royaux pendouillaient nonchalamment comme à l’accoutumée. A la radio, les échoppes se plaignaient de la concurrence déloyale des super, hyper, ultra, méga, giga, téra, et péta-marchés. Et les péta-marchés se plaignaient de la concurrence déloyale des Gaffamés défiscalisés.
Du coup, le roi a eu envie de saloper le mot « équité ». Et encore une fois, il a réussi son coup.
Hier soir, le roi nu s’est lassé de son heure et s’est rendu chez le maître des horloges.
— Maître, il me faudrait une nouvelle heure. Là, maintenant, tout de suite, en pleine nuit, presto, incognito.
— Pourquoi donc, répondit le maître des horloges ? Celle-ci ne vous convient plus ?
— Elle est vieille et toute fanée. Je ne peux plus la voir en peinture. Elle traîne en longueur et je ne ressens plus rien pour elle.
— Ce n’est pas une raison ! La couleur d’une heure passe toujours. C’est sa destinée. Vous imaginez si tout le monde venait chaque instant changer son heure ?
— Je n’y arrive plus. Avez-vous seulement une idée de ce qu’est un agenda de roi ? J’ai des obligations, moi, Môssieur. Mes concisujets comptent sur moi. Rien qu’aujourd’hui, j’ai déposé une grande gerbe chez McDonald’s, j’ai reçu le roi du pétrole pour lui cirer les pompes. J’ai négocié un cessez-le-feu avec un incinérateur à ordures. Mais du coup les ordures débordent dans mes miministères : à l’intérieur, à la justice, et même à l’environnement !
— Je vois, vous voulez changer d’heure parce-que vous n’avez plus une minute à vous. Vous êtes fatigué. Je veux bien vous changer votre heure. Mais je vous préviens, c’est la dernière fois.
Du coup, le roi nu rentre tout sourire chez lui. Ses attributs royaux pendouillent et balancent gaiement, un coup au centre-droit, un coup au centre-gauche, comme pour saluer les concisujets qui se sont massés aux abords du palais. Il arbore fièrement et ostensiblement sa nouvelle heure sous le bras. Elle est d’un bleu roi profond, lumineux, captivant. Elle est si jeune et veloutée ! Les concisujets chantent et dansent de joie à la vue de tant de beauté.
— Notre roi est parvenu à obtenir une nouvelle heure auprès du maître des horloges, s’exclament-ils ! Hourra ! Vive le roi !
Du coup le roi nu improvise quelques pas de danse tout en montant les marches du palais. Son cœur est léger. Il se sent ragaillardi et plein de joie de vivre. Il a beau avoir été prévenu, il n’a visiblement pas compris que cette fois-ci, c’est vraiment sa dernière heure.
Depuis quelques semaines, et plus intensément ces derniers jours, le roi nu subit des intrusions dans son code source. C’est son miministre de la défiscalisation des Gaffammés qui l’a alerté :
— Majesté, nous avons trouvé des traces de votre code royal dupliquées çà et là sur la toile de Jouy. Il semblerait que d’aucuns de vos concisujets hackers tentent de s’approprier votre auguste majesté et de l’encoller sur leurs murs. Je suis dévasté d’inquiétude !
—Voyons, mon bon Thierry ! C’est de bon augure. Cela montre l’attachement de notre bon peuple à notre monarchie numérique anticonstitutionnelle.
— Certes, Majesté. Mais mes services m’ont rapporté quelque caricature de heu, comment dire ? C’est délicat…
— Parlez Thierry, ne tournez pas autour du trône.
— C’est à dire que des caricatures désavantageuses de vos attributs royaux qui pendouillent sont encollées de façon virale sur la toile de Jouy des murs de vos concisujets.
— Comme c’est amusant ! Mes concisujets sont décidément pleins de ressources pour affronter nos temps difficiles. Si mon code source peut soulager le fardeau de leur peine… Vous pensez bien que depuis le 17 mars que je suis nu, j’ai eu le temps d’en accepter les aboutissants.
Du coup, le roi nu se sent tout guilleret. Lui qui se repliait de plus en plus sur sa propre majesté, il se sent considéré, reconnu, vivant, débougri. Puisque de toute façon, son code source a été hacké, autant en faire un atout. Du coup, il décide de passer à la télé :
— Mes chers concisujets, déclare-t-il, face aux défis de notre temps, nous devons rester unis [car un bon discours commence toujours par une phrase creuse et consensuelle]. Afin de vous soulager, poursuit-il, de la contrainte du couvre-feu que nous avons déployé en l’essentiel du royaume, ma Majesté a décidée d’ouvrir son code source et de passer en licence Creative Commons. Appropriez-vous le roi nu autant qu’il vous plaira, dupliquez-moi, modifiez-moi, augmentez-moi, réinventez-moi. Mais n’oubliez jamais ma nudité, car c’est elle qui nous rassemble [car un bon discours termine toujours par une phrase creuse et consensuelle].
Du coup, le roi nu fait l’expérience du fameux « lâcher-prise » ou « acceptation », dernière étape du deuil. Donc première étape du reste de sa vie.
Depuis longtemps, c’est naturel, le roi nu a peur de mourir. Rien n’y fait. Ni l’ardeur à engendrer sept descendants dont trois dotés d’attributs princiers qui pendouillent. Ni la gloire acquise au surplomb des champs de bataille et immortalisée augustement sous forme de statues équestres imputrescibles. Ni la prodigalité de ses œuvres de bienfaisance envers les sans-dents-ni-rien-à-se-mettre-dessous du royaume. Du coup, le roi nu a peur de mourir. Comme tout-un-chacun, c’est bien naturel. Mais ces derniers temps, cela s’aggrave en raison de la co-pandémie de virus, de verbiage, et d’égoïsme.
Quoique farouchement opposé au séparatisme entre banque d’affaires et banque de détail, tout chez le roi nu montre maintenant qu’il est parvenu au stade suprême de la séparation de sa majesté d’avec le reste du monde. Totalement. Barbelés à lames de rasoirs, antibactériens rétroviraux fongicides triple action, portes blindées à serrures quatre points, masques barrières pour cacher ce pic ce cap ce roc cette péninsule, couvre-feu qui couve sous la cendre. Séparation totale. Protection totale. Mais du coup le roi nu est seul. Tout seul. Il ne va plus au bal des pompiers, n’invite plus ses potes à jouer à la crapette royale, ne connaît plus sa reine et n’embrasse plus ses princes, ne visite plus sa grand-tante Berthe, ne va plus dormir dans l’écurie avec son petit âne gris les soirs de vague-à-l’âme.
Du coup, le roi nu se rabougrit. Sa majesté se replie sur elle-même. Sa majesté se plie en deux. En quatre (passe encore). En seize, en deux-cent-cinquante-six, en mille-vingt-quatre… Loi de Moore, loi de mort. Le roi nu se rabougrit. Bougrit. Gris.
Le roi nu s’habitue à tout, digère tout, s’adapte à tout. Jusqu’à un certain point.
Le roi se souvient qu’un jour, lorsqu’il était encore jeune prince, tandis qu’une fois de plus il grignotait des chipster (0€79) avachi sur le cuir de vachette vachement confortable du canapé Conforama du salon (1099€99), son père lui avait dit :
— C’est bien mon fils, en toute circonstance, le corps sacré d’un roi doit épouser la forme du contenant.
Longtemps restée obscure à son entendement, cette parole l’habite désormais. Il mesure chaque jour à quel point son corps sacré épouse le corps social de ses concisujets sous la gravitation de son propre poids royal. Sa dynastie en a toujours fait un atout. Chaque fois qu’un problème surgit en le royaume, le corps sacré royal s’y avachit, s’y étend, le nourrit, s’en nourrit, le ramollit, le cajole, l’asphyxie, le temporise, prend à Paul, crée une commission ad-hoc, moins l’âge du capitaine, donne à Pierre, transmet au parquet, convertit en pdf, accepte ou refuse les cookies… Quel problème au fait ? La nature du corps royal est d’avoir horreur du vide, de remplir au plus vite tous les interstices qui surgissent immanquablement. Voire d’en créer ex-nihilo, car comme disait Serge Dassault s’inspirant de Rockefeller : « on s’en fout, ça fait toujours du P.I.B. »
Aujourd’hui, cette loi gravitationnelle lui est bien pénible. Le poids de sa peur épouse la peur de ses concisujets. Du coup la peur qui est mère de toute docilité, écrase la confiance, qui elle, est mère de toute désinhibition consommatoire de croissance. Or pour tenir en équilibre, le corps du roi a désormais besoin à la fois de la peur et de la confiance. Et ce n’est pas possible. D’avoir les deux. Ou ce n’est plus possible. Du coup le corps sacré du roi penche de plus en plus au dessus du vide (oui, ses attributs royaux aussi, mais eux, c’est congénital). Et ce vide est un vide que pas même le corps sacré du roi ne peut combler. Et le corps sacré du roi est tout imbriqué dans le corps social de ses concisujets.
Le roi nu commence sérieusement à s’inquiéter car les rendements du royaume sont décroissants. Officiellement, c’est conjoncturel (courbe en V), mais officieusement structurel (courbe en 僄). Or, le roi nu préfère les rendements-croissants-au-beurre avec en plus l’argent des rendements-croissants-au-beurre et le sourire de la banquière blondasse à talons.
— Ah ! dit-il, c’était tellement bon les rendements-croissants-au-beurre dans mon café du petit déjeuner ! Et mon plan de relents, se lamente-t-il, quelle catastrophe ! Il est déjà rendu en actifs pourris perpétuels dans le bilan de la banque centrale de ma Majesté… Que faire ? Qu’aurait fait mon père ? Mon grand-père ? Mon arrière-grand-père ?
Du coup, le roi nu fait les cent pas sur la terrasse de son palais. Il va et vient les mains dans le dos, le front soucieux.
— Je sais, s’exclame-t-il soudain ! Je sais ce qu’auraient fait mes ancêtres : une guerre !
Du coup, il est tout excité. Et heureusement que ses ennemis ne peuvent pas le voir sur sa terrasse. Car c’est plutôt amusant à voir, un roi nu va-t-en-guerre mais ventripotent, avec ses attributs royaux qui pendouillent. Mais en fait, pour les concisujets du royaume, c’est plutôt triste, affligeant, voire dramatique ou terrifiant.
Hier soir le roi nu a vomi. Il était allongé peinard en son canapé à écouter de la musique auto-tunée. Donc il a vomi. Logique. Prévisible. En fait il rêvassait, se remémorant son jeune temps. A l’époque il n’était encore qu’un jeune prince en culotte de velours et pas encore le désormais célèbre roi nu.
Sa mère, la Reine-mère, lui avait offert un hamster dans une cage munie d’une roue. Du coup, il pouvait regarder des heures durant, son hamster tourner inlassablement dans sa roue. Parfois ce dernier s’arrêtait de courir, et c’était rigolo de le voir remonter les fesses en l’air sous l’action de son propre poids. Puis il repartait en avant, et la roue, en arrière. Où croyait-il aller dans sa salle de fitness miniature ? D’abord, il admirait l’énergie, l’endurance et la dextérité du hamster. Mais au bout de quelques temps, il le trouvait surtout très con. Hamster, salle de fitness, roue, tapis roulant, vélo elliptique à écran virtuel immersif, cardio training forever young, rame rame rameurs ramez, on n’avance à rien dans ce canoë…
A cet instant de sa rêverie, le roi nu repense soudain à la promulgation du plan de relance qu’il a signé la veille. Relance, relents, haut-le-cœur, dents du fond qui baignent, auto-tune, relance, vomi, trop tard.
Le roi nu étouffe sous son masque. Bien plus, il étouffe sous les amas de messages anxiogènes qui parviennent incessamment à ses royales oreilles. Et il se désole que la peau de ses belles mains jadis si douces soit devenue si rêche.
— Si ça continue, on va bientôt me prendre pour un hydroalcoolique notoire, se dit-il.
Du coup, pour la première fois depuis des mois, le roi nu prend enfin une décision sensée. La seule décision capable de faire bouger les lignes, de renverser la table de la géopolitique mondiale. Une décision de santé publique, ambitieuse et novatrice, pour ne pas dire disruptive. Une décision puissante et ostensible, qui permet de rassembler le peuple autour d’un objectif clair ; faisant taire les grandes ambitions sournoises de ses miministres et les petites mesquineries de chaque sujet envers son voisin. Une décision radicale susceptible de faire plonger les cours de bourse des empires des capitaines de matériaux connectés.
Le roi nu prend enfin une décision sensée : il met sa tente sur son porte-bagages, son réchaud dans ses sacoches et part faire du vélo. Du coup, le voila libre et serein, ses attributs royaux pendouillant sur sa selle. Il savoure la douceur des paysages, s’abreuve aux fontaines non-potables des villages, fait ses grosses commissions royales dans les WC publics à l’arrière des salles des fêtes, s’assoupit à l’ombre des haies, s’égaye dans les ruisseaux, dort dans les prés entre deux bouses de vaches en compagnie des ses amis les moustiques. Le roi nu transpire le sel de la terre et inhale la lumière du monde. Transpire. Inhale. Transpire. Inhale. Décision sensée.
Le roi nu est en deuil. Il ne sait pas vraiment de quoi, mais il sent qu’il est en deuil. En vérité, il en est même à la troisième étape du deuil ; après le déni et la colère, vient le temps de la négociation.
— Adieu insouciance immortelle de mes vingt ans, se lamente-t-il ! Adieu liberté de mouvement perpétuel chérie ! Adieu étreintes passagères socialisantes ! Adieu veaux, vaches, cochons, attroupements grégaires, musicaux et sportifs !
Du coup, le roi nu veut négocier. Ça le connaît. Depuis quelques semaines, le roi nu a peur, c’est entendu. Rien de tel qu’une petite négociation pour conjurer la peur. Du coup son « miministre des corps aptes au travail » lui a suggéré de porter un masque. Et ô miracle ! L’étoffe du masque ne se liquéfie pas [contrairement aux autres vêtements qu’il ne peut désormais plus porter, pour ceux qui suivent, ndlr]. Du coup, il n’a plus peur. Il se trouve même un certain charme ténébreux quand il se regarde dans la glace. En plus, il se dit qu’avec ce masque, il pourrait se balader incognito dans son royaume, n’étaient ses attributs royaux qui pendouillent. Mais son miministre lui explique que son masque est surtout fait pour protéger les autres s’il est contaminé, lui. Et pas tellement pour le protéger, lui, si un autre le contamine, lui. Du coup ça l’énerve car les autres, c’est pas des rois, alors que lui, c’est le roi, non mais. Du coup, il passe à la quatrième étape du deuil : la dépression.
Le roi nu a pris son SUV tout blanc avec son compteur qui va jusqu’à deux cent à l’heure. Il est ravi car il a eu tout le temps de montrer son nouveau SUV à tout le monde dans les bouchons ; à la porte d’Orléans, au péage de Saint Arnoult, au bouchon de l’échangeur A10-A71, à celui de la barrière de Sorigny, à celui de l’accident de Poitiers Sud, sur l’ensemble du contournement Nord de la Rochelle et jusqu’au tréfonds de l’île de Ré. Ah ! L’ambiance magique des vacances ! J’oublie tout !
Du coup, le roi nu veut oublier. Pour jouir de ses sacro-saintes vacances, il est prêt à fermer les yeux sur beaucoup de choses. Dans un sens, il ne manque pas d’un certain bon sens. Se faire confiner en période de travail, pourquoi pas ? Mais pendant les vacances, pas question ! Du coup, quand il a annoncé que dorénavant, le royaume serait confiné uniquement de septembre à juin, il a perçu un large assentiment de la part de ses concisujets, depuis le collégien et son prof d’arts plastiques, jusqu’au retraité heureux propriétaire d’un camping-car équipé d’une télé extra-large et d’un WC sanibroyeur.
Grâce à ce large consensus social, l’épidémie reculerait, la misère sociale se dissiperait, les violences systémiques s’adouciraient. Le roi nu et son peuple nu croient d’une certaine manière aux forces de l’Esprit. Et c’est vrai, cette année encore la magie des forces de l’Esprit du consensus social vacancier semble opérer. Semble. Semblait. Semblerait. Une année encore. Rien qu’une année. Rien qu’un été. Encore.
— Mes chers concisujets, c’est avec émotion que je vous parle ce soir à la tétélévision. Voila huit semaines que nous sommes chacun confiné pour conjurer le sort funeste qui s’est abattu sur notre royaume. Au cours de ces huit semaines, je me suis adressé périodiquement à vous pour remplir le rôle qui est le mien. Les plus attentifs d’entre-vous ont sans doute remarqué un léger changement au sujet de ma Majesté. En toute transparence, je vous dois quelques explications. A la mi-mars, notre royaume s’est trouvé à la confluence de trois évènements : la pandémie sanitaire, la faillite géophysique et l’épuisement mental. Concomitamment, par un truchement paranormal, je me suis retrouvé nu de la tête aux pieds. Encore aujourd’hui, je ne peux toucher une étoffe sans qu’elle se liquéfie comme sous l’action de quelque acide. Il faudrait être fou pour ne pas voir de lien entre les trois évènements et la survenue de ma nudité…
A ce moment du discours, dans leurs chaumières, la plupart des concisujets détournaient les yeux de leur tétéléviseur, gênés de voir le roi parler de sa nudité. Certains la remarquaient pour la première fois parce-qu’auparavant, personne n’en parlait. Mais maintenant que la nudité du souverain était officielle, ils la voyaient. Certains étaient hébétés et scrutaient, incrédules, les attributs royaux en se frottant les yeux. « Boudu ! Mais c’est pas vrai ! C’est pas Dieu possible ! » répétaient-ils.
A la tétélévision, le roi continuait :
— Je dois vous l’avouer, j’ai pensé dans un premier temps mettre fin à mon règne. Il m’était difficile de renoncer à ma chasuble de nylon ornementée de perles d’uranium. J’ai tant aimé mes bottes de pangolin et ma couronne 3D ! Elles me donnaient l’assurance d’être roi. Mais je crois aujourd’hui que nous devons faire œuvre de vérité. Je vous demande de regarder ma nudité en face. Je vous rappelle qu’en tant que vous êtes mes concisujets, ma nudité est la vôtre. Dorénavant elle est nôtre. J’ai conscience du bouleversement que cela représente. Mais cette réalité s’impose à nous. Vous l’avez déjà compris, demain, dans un mois, dans un an, nous ne nous déconfinerons pas vraiment. Nous ne nous déconfinerons probablement jamais car je nous connais, nous oublierons tôt ou tard ma nudité, notre nudité. C’est pourquoi j’ai décidé qu’à compter de demain, un portrait de moi posant nu, serait accroché en chaque mairie en lieu et place de l’antérieur qui devra être brûlé en place publique.
Le roi nu est perplexe. Son miministre des « renseignements ni vus ni connus » lui a passé un appel sur Skype. Il y aurait un accroissement du nombre de regroupements « hors GAFAM » de concisujets. D’après les informations recueillies, des groupes communaux auraient été créés, fédérés à l’échelle cantonale dans des agoras RRT (Résistance Résilience & Transition). D’autres agoras cantonales RRT seraient déjà en-cours d’essaimage dans tout le royaume. Le miministre est inquiet. Les rassemblements de concisujets l’angoissent et plus encore, les gens qui s’organisent pour faire des choses matérialisées. Le roi nu ne comprend pas ; pourtant le royaume du verbiage bat son plein sur BFMRoyal, tout a été fait pour que les concisujets aient peur et les empêcher de se mettre en relation.
Le roi nu fait maintenant les cent pas sur sa terrasse. Songeur. Le soleil du soir est passé sous le couvercle des nuages et révèle magnifiquement tous les verts du printemps qui explose et tous les reliefs dansants de la campagne environnante. Au loin, trois chevreuils broutent paisiblement au bord d’un ruisseau bordé de vergnes.
— Mes miministres se croient encore habillés, songe-t-il. Mais moi, je sais maintenant que je suis nu car cela fait des semaines que je me balade avec mes attributs royaux à l’air.
Il ressent maintenant très bien sa nudité. Il l’a même apprivoisée. Au début, il faisait comme si de rien n’était. Ensuite ça l’a mis en rogne tellement ça lui foutait la honte. Mais maintenant, à défaut de l’accepter, il s’y résigne. Du coup, la création de ces agoras RRT le laissent perplexe, car grâce à sa nudité, une part de lui sait ce qui est en train d’arriver.
Le roi nu est tout excité. Il a trouvé une idée géniale pour briser le cercle vicieux de la peur qui l’étreint depuis quelques semaines. Il se dit qu’il y aura un avant et un après. Et hop ! Voilà ! C’est réglé. Il fallait y penser. Du coup, il se sent mieux. Avant, il ne savait pas qu’il y a un avant et un après, mais maintenant, il le sait. Mais un doute l’assaille. Il se demande si avant, quand il ne savait pas encore qu’il existe un avant et un après, l’avant et l’après existaient sans lui, indépendamment de lui. Car cela voudrait dire que maintenant, c’est l’après d’avant, et qu’il n’y est pour rien.
Du coup, il se demande s’il y a eu beaucoup d’avants et d’après auparavant. Et il se dit que oui et c’est vertigineux. Du coup, il se demande s’il y aura encore des avants et des après, après. Et il se dit que sans doute, et même sans lui, et c’est vertigineux et vexant. Du coup, ça le met en rogne. La colère, deuxième étape du deuil. Du coup, il se voit flotter dans l’espace intersidéral, tout nu avec ses attributs royaux en apesanteur. Du coup, il n’est pas parvenu à briser le cercle vicieux de la peur et ça le fait encore plus flipper.
Le roi nu découvre progressivement qu’il est en burn-out. Il l’a pressenti dans les jours qui ont précédé le confinement. Il aspirait inconsciemment à ce confinement comme une bouche sèche aspire à une fontaine. Confinez-moi, confinez-moi, suppliait la petit voix intérieure du roi nu. Des années de bull-shit jobs, des milliers d’heures d’embouteillages, gris du trottoir au ciel, une saturation totale de son temps de disponibilité céphalique. Tout cela avait épuisé le roi nu. Lessivé, gobé, sucé, vidé de sa substance. Depuis des années, il courait partout pour ne rien rater des possibilités infinies de son royaume de loisirs. Ce faisant, il ne mangeait plus, mais remplissait son estomac. Il ne dormait plus, mais végétait dans un état second. Il ne travaillait plus, mais remplissait une fonction. Il n’apprenait plus rien, mais consommait des contenus, ce qui flattait son sentiment d’être vraiment le roi de l’univers. Roi nu d’un univers vide en vérité.
Le roi nu est en burn-out. Il commence à s’en rendre compte et ça lui fout la trouille. D’ailleurs aujourd’hui, son réflexe pavlovien est de nier l’évidence ; il dit qu’après le confinement, il va mettre les bouchées doubles pour redémarrer le moteur de la machine économique. Déni. Après le déni viendra la colère. Car son burn-out va lui couper les jambes. C’est ce que fait un burn-out. La tête a été siphonnée. Les jambes d’un canard sans tête ne courent plus une fois arrêtées. Il leur faut une tête et ça prend du temps à recoudre. Beaucoup de temps. Des années. Le roi nu sait maintenant qu’il est en burn-out mais ne sait pas encore ce que cela signifie, concrètement.
Le roi nu est malheureux tout seul confiné en son palais royal. Il se souvient du temps où il pouvait aller chasser en ses bois et vertes prairies, habillé comme un hobereau, fier comme Artaban, agile comme un cabri et libre comme l’air. Du coup, il a envie d’épancher sa mélancolie. Il appelle son pote Roland sur Messenger en visio-direct-tchat, grace à son Iphone XXVIII connecté pour si jamais ton SUV hybride pour-sauver-la-planète tombe en panne au milieu des bois à trois heures du matin. Du coup, Roland est un peu gêné de voir le roi tout nu, mais fait comme si de rien n’était. Du coup le roi qui est nu depuis des semaines ne se rend plus compte qu’il est nu. Du coup Roland finit par trouver ça normal, parce-que après tout, c’est le roi, il a sûrement une bonne raison de faire prendre l’air à ses attributs royaux qui pendouillent.
Du coup Roland active la connexion de son Samsung Galaxy intelligent convexe. Du coup Roland est contaminé par le virus. Et meurt. Du coup le roi est seul face à l’écran noir de son Iphone. Seul et nu.
Ce matin, le roi nu s’est levé d’excellente humeur et a enfilé ses babouches kabyles, un sarouel tibétain, une chemise en bogolan malien et un bonnet péruvien. Du coup, ses attributs royaux ne pendouillent plus ostensiblement. Poisson d’avril.
Depuis quelques semaines, le roi dort royalement mal dans son lit Ikea en mélaminé de particules de bois exotique brésilien aggloméré à Jakarta avec de la résine saoudienne par des immigrés sri-lankais, conçu à forte valeur ajoutée en Finlande sur base d’une étude de marché d’un cabinet de consulting en marketing de merchandising par benchmarking de concept low-cost indien post-contrôlé en lean-management ; Acheté 199,90 écus au centre commercial RoiDesCons2. Une affaire.
Le roi dort tout nu comme il se doit. D’ailleurs ses concisujets l’appellent désormais affectueusement le roi nu. Affectueusement avec un très léger soupçon d’ironie s’entend.
Du coup, la nuit dernière, le roi a fait un cauchemar. Son palais était pris d’assaut par des gens affamés armés de la gamme complète électroportative Ryobi de dernière génération sans fil à batterie au lithium naturel pour respecter la planète et l’enfance congolaise à ciel ouvert : Scie sauteuse, scie circulaire, perceuse, visseuse, cloueuse à air comprimé (ma préférée, ndlr), rabot, ponceuse à bande, chantourneuse, perforateur-burineur, tronçonneuse, taille-haie-sinon-que-vont-dire-les-voisins, débroussailleuse, tondeuse, élagueuse, aspirateur shampouineuse, cireuse à parquet, mixeur à pied à cheval, en voiture et en bateau à voile, batteur à blancs d’œufs, moulin à café, moule à gaufres, scaphandrier d’eau de vaisselle, raclette, fondue savoyarde et bourguignonne arrosée d’une bouteille de côte de Nuits, pierrade, crêpière à la mode de Bretagne, brosse à dent rotative à contre-rotation elliptique double vitesse, rasoir cinq lames qui dit mieux « pour avoir l’air d’un homme mon fils »… Un vrai cauchemar de boucherie non homologuée L214.
Du coup, le roi nu s’est réveillé en sursaut et a couru chercher sur Wikipedia ce que veut dire « affamé ».
Après trente jours de décroissance (mais si), le roi boit. Comme un trou. Comme un trou tout nu. Il picole du matin au soir sur son balcon. Il est plein comme une outre. Du coup, il déraille encore plus qu’à l’accoutumée. Il boit pour oublier qu’il est écartelé par les injonctions contradictoires de son royaume. Par exemple, depuis des plombes, son infirmière lui réclame une augmentation. Du coup, il avait l’habitude de lui faire remplir des tableaux excel pour faire diversion. Mais là, il a peur de mourir. Du coup, il essaye de la faire revenir en l’applaudissant chaque soir depuis son balcon, à poil, en sirotant son kir royal. Son infirmière trouve qu’elle a une belle jambe maintenant.
Aussi, le roi attache beaucoup d’importance à sa bourse. Or sa bourse pendouille dangereusement (le roi s’excuse pour cette boutade graveleuse, mais le roi a bu). Du coup, les manufactures royales menacent de faire faillite. Du coup, le roi a décidé d’interdire les faillites. Il suffisait d’y penser, voila un problème réglé. En vérité, le roi nu en est à la première étape du deuil : le déni. Le roi a confiné ses concisujets parce-qu’il aime les vieilles (et pas les gorilles contrairement à certain juge en bois brut). Du coup, il a un peu organisé lui-même sans s’en rendre compte, une grève générale. Ce qui ne manque pas de piquant. Quand il a dé-saoulé le lendemain, son miministre des gros écus lui a expliqué que si ça continue, ses amis Martin, François, Bernard et Vincent, vont crever la gueule ouverte et lui il devra mettre sa couronne au mont-de-piété.
Du coup, il a dit à ses concisujets de retourner au travail, surtout les bonnes femmes, mais ils traînent des pieds parce-que c’est tous rien que des branleurs indisciplinés. Pas comme les chinois. Du coup pour les motiver, il leur a proposé mille écus de rabiot et de faire la guerre. Parce-que dans les films de guerre, le mec embrasse la nana à la fin et qu’il trouve ça chouette. Le roi boit comme un trou. Un trou tout nu.
Depuis trois jours, le roi est nu. Son valet de chambre est confiné. Du coup, le roi est à poil parce-qu’il ne sait pas s’habiller tout seul. Hier, le facteur, débordé, n’est pas passé lui livrer son colis Amazon de sa commande de Nespresso. Du coup, il se sent moche comme Georges Clooney au réveil avant maquillage. Ce matin sa cuisinière a fait valoir son droit de retrait parce-qu’on ne lui a pas fourni de masque de chirurgienne. Du coup, il a pas encore faim mais il a peur d’avoir faim, et c’est pire. Du coup, il essaye de passer le temps en matant une série sur Netflix, mais ils ont baissé la bande passante HD pour soulager les datacenters du Groenland qui crament avec le dérèglement climatique, et ça lui fait une image de merde sur son écran extra plat XXL mural Toshiba. Il se dit qu’il veut faire percer une fenêtre sur le mur ouest de sa chambre comme ça, il va au moins voir le soleil se coucher. Du coup, il appelle son maçon. Son maçon lui dit que pas de problème, il va lui faire ça en télétravail depuis chez lui et lui demande un acompte de 70% en or ou en blé, mais surtout pas en écus royaux.
Là, il se sent très très à poil. Il se voit gravé à poil sur ses écus royaux et ça lui fout la honte. Il sent maintenant une gêne dans sa poitrine et ça le fait flipper parce-que la semaine dernière, il a serré la main d’un miministre malade. Mais tous ses médecins sont en burn-out depuis des semaines et son palais est désormais en zone blanche. Le roi est nu comme un ver, à poil de la tête aux pieds, ses attributs royaux pendouillent royalement. Il va et vient, seul en son palais parce qu’il a peur de croiser les autres. Qui le lui rendent bien.
Le roi est bien emmerdé d’être à poil parce-que bientôt, il doit passer à la télé et qu’il se demande ce que vont penser ses concisujets.