Tôt ce matin, en sortant du palais pour faire sa promenade, le roi nu a marché dedans. On pourrait croire que c’est un présage de bonheur, mais pour être parfaitement exact, votre chroniqueur doit vous préciser que le roi nu est plutôt tombé dedans jusqu’au cou, ce qui est plutôt un présage de complications.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur? dit le roi nu. Qu’est-ce qui m’arrive?
Pauvre roi nu! C’est pas de chance. Lui qui est si propre sur lui, toujours tiré à quatre épingles, brillant comme un sous neuf, parfumé à la vanille de l’île Bourbon et les cheveux gominés. Lui qui fait faire le ménage du palais tous les jours. Faut que ça brille! Et même dans les jardins, il faut que rien ne dépasse, que les buissons soient taillés au cordeau et la pelouse toujours rase et sans aucune feuille morte. Comme ça c’est propre. Si ça dépasse c’est sale, c’est bien connu. Les autres, les petites gens, ils sont sales, c’est dans leur nature, ils sont irrécupérables, c’est bien connu aussi. Mais lui, c’est le roi, il doit montrer qu’il est le plus propre. Et depuis qu’il est nu avec ses attributs qui pendouillent, il doit redoubler de propreté.
Le roi nu ne l’avouera jamais, pourtant, lui aussi fait… enfin va à la… Non, ne dites rien. Mais vous voyez de quoi je parle. La commission. Tous les jours ou presque. Et toute la famille royale aussi. Et les chevaux, et les cuisinières, et les valets et majordomes et chambellans, et les poules et canards de la basse-cour, et la meute de bassets pour la chasse à courre, et les femmes de chambres, et les jardiniers, et les palefreniers, et le bouledogue de la reine-mère, et les chauffeurs de carrosses à dorures, et les gardes royaux, et les charpentiers-zingueurs, et les tailleurs de pierre pour restaurer les vingt-trois cheminées, et les peintres officiels, et les musiciens, et les préceptrices, et les bucherons, et les visiteurs du palais pourtant triés sur le volet. Tous ils font… enfin vont à la… Non, ne dites rien. Mais vous voyez de quoi je parle.
Du coup, cette nuit, ça a débordé tout autour du palais. A force de remplir les trônes de chambre depuis des générations et de vider, et d’enfouir, et de pousser, et de tasser, et de cacher ni vu ni connu dans des fossés, des citernes, des cuves, derrière des palissades, avec des bougies à la citronnelle tout autour ; ça a dû fermenter, et ça a débordé, et explosé, et dégoulé partout. Et en sortant tôt ce matin, le roi nu est tombé dedans jusqu’au cou.
— À l’aide! A moi! Au secours! Crie le roi nu.
Du coup, les gens du palais regardent discrètement par les fenêtres et sont bien gênés de voir le roi nu dedans jusqu’au cou car ils savent que ça ne va pas lui plaire. Du coup, ils vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Et le roi reste dedans jusqu’au cou. Peut-être qu’au fond d’eux, ils se disent qu’ils sont un peu pour quelque-chose dans la situation. Peut-être qu’au fond d’eux, ils espèrent que comme tout le monde est responsable, s’ils font comme si de rien n’était, quelqu’un d’autre sera responsable. Peut-être qu’au fond d’eux, ils croient qu’en vaquant à leurs occupations comme si de rien n’était, la situation va se réparer toute seule. Peut-être qu’au fond d’eux, quelque-chose leur dit que si le roi est dedans jusqu’au cou, sale comme c’est pas permis, il est un peu moins le roi finalement. Après tout, peut-être même que les attributs royaux qui pendouillent sont perdus à jamais dedans. Et dans ce cas! Ouh là là! Mieux vaut ne pas y penser.
Et le roi reste dedans jusqu’au cou appelant à l’aide ; et personne ne vient.
En fin de matinée, arrive du village une jeune et belle lavandière poussant une brouette de draps.
— Oh! Pauvre Majesté! Tenez, attrapez ce bâton que je vous tire de là. Voilà. Maintenant, venez par ici, il y a un jet d’eau. Voilà, tournez-vous. C’est mieux. Tournez-vous encore. Tenez, voilà du savon. Frottez bien. Oui, les attributs royaux qui pendouillent aussi. Vous en faites pas, j’en ai vu d’autres. Voilà, je vous rince. Tournez-vous encore. Voilà une serviette, essuyez-vous. Parfait, maintenant voilà de l’eau de rose que j’ai distillée moi-même et que j’ai toujours sur moi. Bien. Vous êtes magnifique!
Du coup le roi nu est tout propre, et n’est plus du tout dedans jusqu’au cou. Du coup il tombe amoureux de la jeune et belle lavandière et les histoires d’amour à l’eau de rose deviennent très en vogue au palais pour continuer de faire comme si de rien n’était.
Episode initialement publié dans le Petit Nontronnais de mai 2024