— Mes chers concisujets, c’est avec émotion que je vous parle ce soir à la tétélévision. Voila huit semaines que nous sommes chacun confiné pour conjurer le sort funeste qui s’est abattu sur notre royaume. Au cours de ces huit semaines, je me suis adressé périodiquement à vous pour remplir le rôle qui est le mien. Les plus attentifs d’entre-vous ont sans doute remarqué un léger changement au sujet de ma Majesté. En toute transparence, je vous dois quelques explications. A la mi-mars, notre royaume s’est trouvé à la confluence de trois évènements : la pandémie sanitaire, la faillite géophysique et l’épuisement mental. Concomitamment, par un truchement paranormal, je me suis retrouvé nu de la tête aux pieds. Encore aujourd’hui, je ne peux toucher une étoffe sans qu’elle se liquéfie comme sous l’action de quelque acide. Il faudrait être fou pour ne pas voir de lien entre les trois évènements et la survenue de ma nudité…
A ce moment du discours, dans leurs chaumières, la plupart des concisujets détournaient les yeux de leur tétéléviseur, gênés de voir le roi parler de sa nudité. Certains la remarquaient pour la première fois parce-qu’auparavant, personne n’en parlait. Mais maintenant que la nudité du souverain était officielle, ils la voyaient. Certains étaient hébétés et scrutaient, incrédules, les attributs royaux en se frottant les yeux. « Boudu ! Mais c’est pas vrai ! C’est pas Dieu possible ! » répétaient-ils.
A la tétélévision, le roi continuait :
— Je dois vous l’avouer, j’ai pensé dans un premier temps mettre fin à mon règne. Il m’était difficile de renoncer à ma chasuble de nylon ornementée de perles d’uranium. J’ai tant aimé mes bottes de pangolin et ma couronne 3D ! Elles me donnaient l’assurance d’être roi. Mais je crois aujourd’hui que nous devons faire œuvre de vérité. Je vous demande de regarder ma nudité en face. Je vous rappelle qu’en tant que vous êtes mes concisujets, ma nudité est la vôtre. Dorénavant elle est nôtre. J’ai conscience du bouleversement que cela représente. Mais cette réalité s’impose à nous. Vous l’avez déjà compris, demain, dans un mois, dans un an, nous ne nous déconfinerons pas vraiment. Nous ne nous déconfinerons probablement jamais car je nous connais, nous oublierons tôt ou tard ma nudité, notre nudité. C’est pourquoi j’ai décidé qu’à compter de demain, un portrait de moi posant nu, serait accroché en chaque mairie en lieu et place de l’antérieur qui devra être brûlé en place publique.