Ce matin, le roi nu se promène le long des douves du palais, d’humeur mélancolique. Les bras dans le dos, le front soucieux, les attributs royaux qui pendouillent, les yeux absorbés par l’ondoiement nonchalant des carpes sacrées. Une tradition dynastique interdit depuis des siècles de pêcher quoi que ce soit dans les douves du palais (une vague légende de bébés noyés du temps des roinulingiens). Du coup, les carpes sont énormes et certaines, plus vieilles que lui.
Cette tradition contrarie le roi nu car il préfère les carpes farcies à la poitrine de porc, œufs de caille, girolles, vin blanc sec, cerfeuil, fleur de sel de Noirmoutier, échalote, pain au levain et vraie crème fraîche (celle avec la cuillère qui tient toute seule dedans). Quand il était petit et qu’il traînait dans les jupes de Rosalie, la cuisinière, il aimait qu’elle lui dise : « Rends-toi utile, lèche la cuillère de crème fraîche ». Depuis, il aime bien les choses utiles.
Aujourd’hui c’est jour de vote. Le roi nu n’a jamais bien compris pourquoi on lui demande de voter. Après tout, il est le roi !
— Majesté, c’est l’heure d’aller à l’urne, lui dit le Chambellan. Vos concisujets ne comprendraient pas que vous n’alliez pas à l’urne.
— Quelle corvée, Amédée. Pour qui dois-je voter ?
— Suivez votre instinct, Majesté. Ne vous posez pas trop de questions. De toutes façons c’est anonyme, vous ne risquez rien.
— Manquerait plus que je risque quoi que ce soit ! Quelle corvée ! Et vous avez vu toutes ces listes ? C’est assommant ! Amédée, dites à Rosalie de me préparer une carpe farcie pour mon retour au palais.
Du coup le roi nu monte dans son SUV pour-sauver-la-planète, puis va à l’urne en traînant les pieds, et vote pour Joséphine Utile parce qu’il se dit que là où est l’utile, l’agréable n’est pas loin. Et l’agréable ça lui rappelle les carpes farcies.